Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des grâces du caractère plutôt que des ornemens de l’esprit, et il répétait à ses filles, avec la plus vive émotion, ce verset de la messe de mariage qu’il ne cessait de commenter : « Qu’elle soit aimable comme Rachel. qu’elle soit sage comme Rébecca, » en leur faisant sentir cette merveilleuse alliance de l’amabilité et de la sagesse. Cependant il faisait dominer sur tout cela le portrait de la femme forte de l’Ancien Testament : « C’est une belle chose sans doute, disait-il, que l’innocence; mais c’est à peine si cela mérite le nom de vertu; il faut réserver ce titre à de grands malheurs non mérités et noblement portés. » Le courage, la force dame, voilà l’objet unique de ses éloges. Un jour, après une maladie qui l’avait mis aux portes du tombeau, il demanda le nom du mal qu’il avait ressenti: une seule de ses filles osa le lui apprendre. Le lendemain, il dit à l’autre : « Vous n’êtes donc pas une personne, vous qui n’avez pas eu le courage de me dire la vérité! » Cette force d’ame fut mise à une rude épreuve, lorsque ses deux filles virent mourir cette Marie qui avait été pour elles plutôt une institutrice qu’une servante. Inspirées par leur père, elles ne voulurent point que la dépouille mortelle de cette femme presque sainte fût abandonnée à des mains étrangères; elles la placèrent elles-mêmes dans le cercueil et se chargèrent des apprêts les plus douloureux du suprême départ.

Nous avons déjà dit qu’en imposant une si rude discipline à ses filles, M. Royer-Collard obéissait plutôt à un devoir qu’à sa nature. Il savait se gêner, se priver, se sacrifier pour elles. Le devoir qu’il exigeait si rigoureusement n’était d’ailleurs jamais le devoir envers lui. Disposé à servir les autres, il ne demandait pas à être servi. Malgré cette rudesse extérieure, il avait le don d’aimer; il était ami zélé et ardent; Quatremère de Quincy, Camille Jordan, ont connu la chaleur et l’effusion de son cœur. Les neveux, les nièces, les jeunes protégés de M. Royer-Collard trouvaient en lui un père, et un père qui ne se bornait pas à les chérir, mais qui les soutenait, les portait dans leur route, et employait sans relâche en leur faveur cette autorité qu’il savait se faire sur les hommes.

Ce n’était donc pas par sécheresse de cœur, mais par conviction d’esprit qu’il prescrivait à ses filles de si dures épreuves. Il s’astreignait lui-même à la vie la plus simple. Il avait en horreur les molles délices; il recherchait tout ce qui pouvait faire de notre passage sur cette terre une laborieuse épreuve. La privation et le sacrifice lui étaient chers. Il restreignait autant que possible la durée de son sommeil; si quelquefois, dans la journée, il se sentait accablé de fatigue, il s’étendait, non sur un lit, mais sur le sol; il se refusait toutes les choses commodes, les voitures qui épargnent la fatigue ou qui abrègent le chemin, les vêtemens lâches qu’on porte dans l’intérieur de la maison, les tapis