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Le second moyen de Mirabeau pour empêcher la révolution de 92 d’engloutir la révolution de 89, c’est la révision de la constitution, de cette constitution qu’on faisait propre à la république ou à la monarchie et qui par cela même n’était favorable qu’au désordre et à l’anarchie. Mirabeau voulait la révision de la constitution, ou plutôt, comme il le disait, ainsi que M. de La Marck, une contre-constitution, et cette révision ou cette contre-constitution, il ne voulait pas que l’assemblée nationale la fit ; il ne l’en croyait plus capable. Ce n’est pas que l’assemblée nationale soit républicaine ; non, l’assemblée nationale, dans les premiers momens de son existence ; était bien moins disposée, dit Mirabeau, « à la liberté qu’à l’esclavage, » et cependant elle a peu à peu détruit la monarchie sans le vouloir. Si l’assemblée nationale fait elle-même la révision elle mettra de la vanité à défendre son ouvrage, et, comme elle aura encore de la défiance contre la royauté, elle croira encore donner à la liberté tout ce qu’elle refusera au pouvoir royal. Il n’y aura pas de majorité dans l’assemblée pour faire la révision et pour la faire dans le sens de la monarchie constitutionnelle, à moins de chercher dans le côté droit les élémens de cette majorité, mais alors la révision faite à l’aide des membres du clergé et de la noblesse paraîtra une restauration du pouvoir monarchique : ce sera ou cela semblera une contre-révolution au lieu d’être une contre-constitution, et les passions anarchiques ne feront que s’enflammer davantage « L’assemblée actuelle sera sans doute renversée, dit Mirabeau ; mais la première législative sera composée des factieux les plus exaspérés de la minorité qui aura résisté à la révision et de tous les auxiliaires capables le la seconder[1]. »

Singulière prévoyance et que les événemens n’ont, hélas ! que trop justifiée ! Il est venu un moment, après la mort de Mirabeau, où l’assemblée constituante, effrayée des progrès de l’anarchie, a voulu faire cette révision ou cette contre-constitution, que souhaitait Mirabeau, et même, chose remarquable, ce n’est pas avec la majorité du côté droit qu’elle l’a faite, c’est avec une majorité prise presque tout entière dans le parti libéral converti, par l’expérience aux idées de Mirabeau. Les conditions étaient donc meilleures que celles qu’entrevoyait Mirabeau, et cependant cette révision, que Barnave et ses amis entreprirent avec tant de courage et d’intelligence, ne réussit pas ; elle ne releva pas la royauté abattue, parce que les engagemens d’opinions et les défiances libérales empêchèrent que l’assemblée constituante fit encore à ce moment tout ce qu’il fallait faire pour fonder une véritable monarchie constitutionnelle, et l’assemblée l’eût elle fait, le pays était trop agité par les passions révolutionnaires et trop gâté par le fatal

  1. Tome II, p. 444.