Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/250

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un air qui eût sans doute éveillé mille échos et fait vibrer mille guitares sur les bords du Guadalquivir. Vingt enfans, âgés de huit ou dix ans à peine, s’élancèrent à cet appel au milieu du salon. Armés d’un sabre de bois, coiffés d’un feutre noir dont les trois cornes déployaient les longues soies et les ailes touffues des oiseaux de paradis, ces charmans négrillons portaient l’ancien costume des hidalgos espagnols. Un robuste adolescent conduisait cette bande agile. C’était la célèbre danse de l’épée transportée sous l’équateur. Le cliquetis des sabres, l’écho du parquet résonnant sous les pieds nus des danseurs, animaient ces passes rapides; on voyait les groupes brusquement rompus ou reformés se mêler et se séparer avec une dextérité singulière. Quelquefois cette armée de mirmidons se pressait autour de son capitaine et semblait lui jurer d’exterminer toutes les grues du Strymon; puis, après ce serment martial, elle développait soudain son front de bataille et courait vers les rangs ennemis ou se dispersait pour mieux atteindre les fuyards. Il y avait toute une épopée dans cette danse guerrière qui eût remué le cœur d’Achille et fait tressaillir Fernand Cortez. Les invasions qui laissent d’aussi joyeuses traces après elles sont à demi justifiées. Les conquérans du XVIe siècle nous apparurent en ce jour environnés de tous les poétiques souvenirs qui se mêlent encore à l’histoire de leurs combats chevaleresques et jettent un fantastique éclat sur la découverte du Nouveau-Monde.

Le thé qu’on vint servir interrompit ce curieux ballet, qui nous avait dédommagés du léthargique spectacle qui avait rempli les premières heures de la soirée ; mais ce plaisir inattendu ne répondait point complètement à l’espoir qui nous avait conduits chez le sultan de Ternate. Déjà il nous avait été donné d’entrevoir dans une autre fête les contours extérieurs de cette monarchie qui semble se mouvoir, régulière et docile, dans l’étroite enceinte d’un manège. Nous eussions voulu cette fois observer de plus près l’existence intime du dalem, savoir quelles distractions ou quels travaux occupent les longs loisirs de ces jeunes princes sevrés de la guerre, de ces jeunes filles sortant du tourbillon d’un bal pour rentrer dans le silence d’un cloître. Ces détails demeurèrent pour nous un mystère. Nous apprîmes cependant des officiers hollandais familiarisés par un long séjour dans les Indes avec les mœurs indigènes que la règle la plus sévère régnait dans le dalem, que les princesses, sans être assujetties à se voiler le visage comme les femmes de Smyrne ou de Constantinople, n’en subissaient pas moins l’inexorable contrainte des lois de Mahomet. Protégée par la réclusion la plus absolue, leur chasteté se trouve encore placée sous la garde de tous les sujets musulmans, dont le fanatisme n’hésiterait point à punir la moindre atteinte portée à l’honneur de leur prince.

Quand le thé et les rafraîchissemens eurent circulé autour île la salle,