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pour but secret d’organiser le royaume de manière qu’ils pussent opter entre la république et la monarchie, et que la royauté fût conservée ou inutile, selon les événemens, selon la réalité ou la fausseté des périls dont ils se croiraient menacés. Ce que je viens de dire est le mot d’une grande énigme[1]. » Comment, maintenant résoudre cette énigme ? Comment faire pencher la constitution vers la monarchie au lieu de continuer à la faire pencher vers la république ? Mirabeau indique plusieurs moyens, et il veut que ces moyens soient employés ensemble et non pas séparément et l’un après l’autre, car il sait quelle est la force de cette révolution républicaine ou anarchique qu’il voit s’avancer à grands pas et qu’il veut combattre. Le premier de ces moyens (j’y reviens encore, parce que Mirabeau y revient sans cesse) est que la royauté se convertisse à la révolution faite, afin d’éviter la révolution à faire. Mirabeau est tellement convaincu que la révolution faite est irrévocable, qu’il écrit dès 1790 ces paroles, qui semblent une histoire prophétique de la restauration de 1814 et de 1815 : « Je regarde tous les effets de la révolution et tout ce qu’il faut conserver de la constitution comme des conquêtes tellement irrévocables, qu’aucun bouleversement, à moins que l’empire ne fût démembré, ne pourrait plus les détruire. Je n’excepte pas même une contre-révolution armée ; le royaume serait reconquis, qu’il faudrait encore que le vainqueur composât avec l’opinion publique, qu’il s’assurât de la bienveillance du peuple, qu’il consolidât la destruction des abus, qu’il admît le peuple à la confection de la loi, qu’il lui laissât choisir ses administrateurs, c’est-à-dire que, même après une guerre civile, il faudrait encore en revenir au plan qu’il est possible d’exécuter sans secousse. » Et c’est même parce que Mirabeau est persuadé de l’irrévocabilité des grands effets de la révolution de 1789, qu’il travaille sans scrupule, dès 1790, à la chute de l’assemblée constituante. Cette assemblée a fait tout ce qu’elle pouvait faire de bien ; son rôle est fini. La révolution qu’a faite l’assemblée nationale et qu’elle a eu, raison de faire, est accomplie et irrévocable ; mais, si cette assemblée reste encore debout, elle fera, sans le vouloir, une autre révolution qui détruira la première dans le présent et la discréditera dans l’avenir. Les assemblées, et surtout celles qui vivent dans les temps de révolution, n’ont pas la ressource d’être inutiles ou insignifiantes ; elles font le bien ou elles font le mal, parce qu’il faut toujours qu’elles fassent quelque chose. Aussi, quand une assemblée a fait le bien dont elle est capable, elle doit, si elle est prudente, s’arranger pour mourir ; car, si elle veut vivre, elle est exposée à mal faire et à détruire son propre ouvrage. C’est à ce point critique qu’en était arrivée, selon Mirabeau, l’assemblée constituante.

  1. Tome II, p. 226.