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résident de Ternate. C’est au bas d’un double perron aux nombreux degrés de lave que nous attendait le vieux sultan. Cet escalier nous conduisit, au milieu des sauvages fanfares d’une musique militaire, jusqu’à l’entrée du vestibule. Nous traversâmes cette première pièce sans nous y arrêter, et fûmes introduits dans un vaste salon où de simples banquettes se trouvaient symétriquement rangées autour des murailles austères, dont aucun ornement n’égayait la nudité. Les princes de l’archipel indien ne connaissent point de distraction plus agréable à offrir à leurs hôtes que celle d’un spectacle dont eux-mêmes ne se lassent jamais. Ils les feront assister pendant des heures entières aux danses symboliques, aux graves pantomimes par lesquelles les femmes de leurs dalems, mêlant à des pas lentement cadencés un chant nasillard et monotone, essaient, dit-on, de retracer les fabuleux épisodes des âges héroïques de la Malaisie. De riches diadèmes, des ceintures d’or massif garnies de pierres précieuses, attestent souvent l’opulence du maître envié de ces bayadères. Le sultan de Ternate, dont le revenu le plus certain consiste dans la pension de 67,000 francs que lui paie annuellement le gouvernement hollandais, ne pouvait, dans l’entretien de son corps de ballet, égaler la somptuosité bien connue des régens de Java. Nous vîmes cependant apparaître douze danseuses vêtues de longues robes traînantes et coiffées d’un diadème bizarre. Un tambour aux sons étouffés, une musette aux aigres accens, réglaient la marche et les évolutions des mystiques prêtresses, dont les mains répandaient d’invisibles pavots sur nos paupières appesanties. Je ne sais quel parfum s’associait à cette musique étrange pour seconder l’accablante uniformité de ces gestes magnétiques et de ces attitudes mesmériennes. Pendant que ces danseuses passaient et repassaient sous nos yeux, nous sentions nos cœurs défaillir, nous éprouvions un singulier mélange de lassitude et de dégoût dans lequel se trahissait l’influence d’un charme surnaturel. Est-ce dans cet assoupissement invincible, dans cette prostration involontaire de la pensée, que réside pour les Malais l’attrait de ces maussades pantomimes? Recherchent-ils dans ce fastidieux spectacle les vagues sensations qu’ils savent rencontrer dans la lourde ivresse de l’opium? Nous jugeâmes inutile de questionner à ce propos le sultan ou les jeunes princes qui nous entouraient; mais il nous sembla que nous respirions plus à l’aise quand cette apparition funèbre glissa sans bruit hors de la salle et que nous vîmes les portes se refermer sur ces ombres échappées des antres du Ténare.

Heureusement, les successeurs de Magellan ont su trouver le chemin des Moluques, et la domination espagnole a laissé sa gracieuse empreinte à Ternate. A la lugubre cantilène des danseuses qui venaient de quitter la place succédèrent tout à coup les notes vives et enjouées