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d’adroits ménagemens et d’habiles égards, la rudesse de ses exigences. S’il veut accomplir avec succès sa mission, il faut que son langage ne trahisse jamais l’irritable impatience du proconsul; il faut, dans ces fantômes de rois, qu’il respecte l’heureuse fiction sur laquelle est basée l’organisation coloniale de l’archipel indien. Les fonctionnaires hollandais ont une dignité froide qui leur permet de flatter la vanité des princes indigènes, sans descendre eux-mêmes du haut rang que leur assignent leurs vastes pouvoirs. C’est surtout dans les cérémonies publiques qu’ils affectent de prendre au sérieux ces souverains dépossèdes, derrière lesquels s’abrite encore la domination étrangère. La tête à laquelle on nous avait conviés devait mettre en présence le résident et le sultan de Ternate. Nous saisîmes avec empressement l’occasion de voir à l’œuvre, de prendre pour ainsi dire sur le fait la diplomatie néerlandaise.

Avant de pénétrer dans les salons du résident, on pouvait deviner qu’un hôte auguste y était attendu. Sur la route qui, du quartier européen, se dirige, à travers le campong chinois et les cabanes malaises, vers le palais du sultan, des tiges de bambou formaient, en se courbant, une longue avenue tout ornée de fragiles arcades; la résine du dammer flamboyait de toutes parts, et jetait au milieu des ténèbres ses lueurs fantastiques et ses clartés bleuâtres. La maison qu’habite le résident se compose d’un simple rez-de-chaussée ; un large péristyle en couvre la façade. Ce portique étincelait du feu des bougies, protégées par des globes de verre contre le souffle capricieux de la brise. A huit heures, le tambour bat aux champs; les cymbales et les clarinettes retentissent. Précédé de ses gardes, qui portent encore l’antique panoplie des guerriers de Célèbes, le casque de fer et la cuirasse damasquinée, le sultan s’avançait dans une calèche découverte. Deux longues files de sujets enthousiastes traînaient au pas de course l’illustre représentant de la nationalité malaise. Parmi les femmes du sultan, il en est une que le gouvernement hollandais admet à partager avec son époux les honneurs du rang suprême. Compagne obligée du souverain de Ternate dans ces rares solennités, elle avait pris place à côté de lui. Les jeunes princesses suivaient le couple royal dans une seconde voiture. Dès que le tambour s’était fait entendre, le résident s’était empressé de franchir le seuil du vestibule. Il reçut le sultan dans ses bras. Le programme de ces effusions est tracé d’avance. Si le résident négligeait le plus minutieux détail d’une étiquette qui a traversé les siècles dans sa curieuse intégrité, le sultan ne manquerait pas le lendemain de s’en plaindre. Aux yeux du souverain de Ternate, cet oubli serait une violation de ses privilèges, une atteinte portée aux droits de sa couronne par celui qu’il appelle respectueusement son frère aîné. Le résident, grave et solennel, ainsi que l’exigeait son rôle, fit asseoir