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un jour; mais notre visite était attendue dans un des villages de l’intérieur, et c’eût été mal reconnaître l’aimable empressement de nos hôtes que de vouloir nous soustraire à cette attention nouvelle. Nous nous remîmes donc en route vers quatre heures du soir. Les Malais qui portaient nos chaises avaient à gravir cette fois un sentier moins rude; mais une température étouffante baignait de sueur leurs corps nus jusqu’à la ceinture. Nous nous sentions émus et honteux en voyant sur leurs épaules de bronze les rayons du soleil tomber presque d’aplomb et se réfléchir comme sur la surface polie d’un miroir. Ce n’est point en effet dès le premier jour que l’on peut goûter sans remords les sensuelles douceurs de la vie orientale. La gaieté, la joyeuse émulation des hommes qui enduraient à cause de nous ces fatigues, la pensée que leur peine aurait bientôt son salaire, contribuèrent heureusement à calmer le trouble secret de notre conscience; et quand nous atteignîmes le terme de notre course, nous ne songions plus qu’à embrasser du regard la scène imposante qui se développait sous nos yeux.

Nous étions arrivés au sommet d’une de ces collines dont les croupes arrondies s’entassent l’une sur l’autre pour former la péninsule de Leytimor. De ce point culminant, on apercevait, au-delà des jardins de Batou-Gadja, au-delà des allées régulières de la ville, l’immense canal où la Bayonnaise, entourée d’un essaim de pirogues, semblait un cetacée monstrueux échoué sur la grève. Au fond des ravins, l’œil distinguait à peine quelques palmiers à demi submergés sous des flots de verdure; mais, sur le penchant des coteaux échelonnés, les girofliers au tronc pyramidal étendaient leurs rians quinconces, dont la brise faisait frissonner le feuillage mobile; les muscadiers apparaissaient au-dessus des haies d’agaves, et, sous leurs feuilles luisantes, les fruits aux valves charnues montraient en s’entr’ouvrant la noix parfumée que le macis enveloppe d’un réseau écarlate. Convoqués par le chef indigène du village, Vorang-kaya, les Malais se pressaient dans l’enceinte que fermaient d’un côté la maison communie, de l’autre les hangars sous lesquels devaient sécher le girofle et la muscade. Pour les habitans des tropiques, toute journée ravie à leurs travaux est un jour de fête. Une troupe choisie avait revêtu, en cette occasion, le costume de guerre des Céramois. La tête couverte d’un casque de bois peint que surmontait, comme un cimier, le corps déployé d’un oiseau de paradis, le bras gauche passé dans les courroies du bouclier, la main droite armée du kris flamboyant, ces guerriers engagèrent, au son d’une musique étrange, un de ces combats simulés qui précédaient autrefois les expéditions sanglantes des Harfours. Un morion portugais, trophée précieusement conservé depuis plus de deux siècles, ornait le front du coryphée qui conduisait cette pyrrhique sauvage.