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domestique. Dès qu’on a franchi cet écran, au fond d’une vaste pièce apparaît une statuette au ventre rebondi et au visage enflammé, devant laquelle brûle l’encens inépuisable des bâtonnets odorans. Cet autel est celui des dieux lares : il rappelle au Chinois la patrie absente. D’autres autels sont consacrés aux aïeux. Des tasses de thé, des fruits secs, des parfums sont offerts chaque jour à ces mânes vénérés par la piété des générations qui se succèdent.

L’activité de la race chinoise fait mieux ressortir encore la mollesse apathique des autres habitans de la zone torride. Les naturels d’Amboine sont avant tout paresseux et ennemis du travail. Quand ils ont cuit sous la cendre un gâteau fabriqué avec la moelle du palmier à sagou, quand ils ont recueilli dans un tube de bambou la sève abondante que distillent les pédoncules d’une autre espèce de palmier, le sagouer, — ils n’envient rien des superfluités de ce monde et ne connaissent de jouissance réelle que le repos. Si vous pénétrez au milieu du campong pittoresque qu’ils habitent, vous les verrez accroupis sur le seuil de leur demeure ou à l’ombre des bananiers de leur jardin. Là, oublieux du passé et indifférent à l’avenir, le Malais savoure lentement et dans un demi-sommeil le bonheur inappréciable de l’oisiveté. Il ne s’arrache à cette torpeur que pour aller promener une ligne indolente sur les bords poissonneux de la mer, ou, s’il est musulman, pour aller se livrer, dans le bassin ombragé de Batou-Méra, aux ablutions commandées par les préceptes de Mahomet. Le jour où ce peuple cesserait d’obéir à la pression étrangère, le jour où chaque village, maintenant rangé sous les lois d’un chef indigène percepteur d’impôts et inspecteur de culture, serait libre de négliger les girofliers qu’il a plantés, Amboine verrait bientôt ses montagnes envahies par la végétation déréglée des tropiques. Dans un pays où la tige des arbres produit sans culture une moisson inépuisable, où chaque tronc de sagoutier contient la subsistance d’un homme pour six mois, il n’y a que la contrainte qui puisse vaincre la langueur qu’inspire le climat, il n’y a que le labeur forcé qui puisse mettre à profit la fécondité merveilleuse de la terre. Si les Hollandais ont obtenu dans l’exploitation de l’archipel indien les étonnans résultats qui font depuis quelques années l’envie de l’Angleterre et l’admiration de l’Europe, s’ils ont fertilisé le sol sans soulever les populations, c’est que leur esprit froid et méthodique, leur flegme affectueux semblaient les désigner, dans les vues de la Providence, pour mesurer à ces natures indolentes et passives la tâche modérée, mais inflexible, de chaque jour.

Les habitans d’Amboine, comme ceux de Timor, comme la plupart des insulaires de l’archipel indien, offrent dans leur physionomie, leur langage, leurs instincts, tous les caractères qui peuvent indiquer une origine malaise. Les tribus dispersées de cette grande famille, à laquelle.