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la création, bien des cœurs cependant restent froids et s’étonnent de n’emporter d’un pareil spectacle que des impressions peu profondes. C’est qu’il manque à ces régions du soleil, à ces îles fantastiques de l’archipel d’Asie, le charme mystérieux qui n’appartient qu’à l’histoire. Timor a vu des collisions sanglantes mettre souvent aux mains de ses tribus guerrières la sagaie et la sarbacane aux flèches empoisonnées; mais ces obscures iliades n’ont point trouvé d’Homère, et la lyre des rapsodes n’a pas sauvé la mémoire des Achilles qu’ont vus naître les sauvages provinces de Koutoubava ou d’Amanoubang. Nulle ombre auguste n’erre sous ces ombrages; nul débris n’y redit les choses du passé; la rêverie n’a point de prise sur cette terre où les hommes tombent et se renouvellent comme les feuilles desséchées des arbres : le sol reste muet, car il est sans souvenir.

Quelques jours employés à visiter les environs de Batou-Guédé devaient facilement épuiser l’intérêt qui pouvait s’attacher à une pareille relâche. Dès que l’aspect du ciel vint nous promettre des chances de navigation plus favorables, nous nous hâtâmes de déployer nos voiles et de reprendre la mer. Le 3 novembre, favorisés par un violent orage, nous franchîmes, au milieu de la nuit, le détroit d’Ombay, et, doublant les îles de Pulo-Cambing et de Wetta, nous nous dirigeâmes vers la rade d’Amboine, étape presque inévitable d’un voyage de Chine à contre-mousson. C’est à Amboine que la Hollande a placé le chef-lieu du gouvernement des Moluques. Cette province des Indes néerlandaises comprend de vastes territoires qui n’ont jamais été défrichés et quelques îles d’une étendue peu considérable, mais qui ont depuis long-temps subi la culture. L’île d’Amboine est spécialement affectée à la production du girofle, les îles Banda sont exclusivement plantées de muscadiers. Ternate et Tidor, où résident les deux princes indigènes dont les peuples des Moluques reconnaissent encore le pouvoir, sont plutôt des centres politiques que des établissemens agricoles. Céram, Bourou, Oby, Batchian, Mysole, Waigiou, Salawatty, situées au sud de l’équateur, Morty et Gillolo, placées au nord de la ligne équinoxiale, offrent, sur un espace de soixante et un mille kilomètres carrés, — la valeur de dix départemens français, — des terrains entièrement vierges et des forêts presque impénétrables.

On sait par quels prodiges de ténacité les marchands des Provinces-Unies réussirent à fonder, vers le milieu du XVIIe siècle, cet empire colonial qui semble fait pour rivaliser un jour avec l’Inde anglaise, et dont les Moluques ne sont plus qu’une des annexes les moins importantes. D’abord rançonnés par les souverains et les chefs indigènes, desservis par les intrigues des Portugais, inquiétés, égorgés par des populations perfides, ils finirent par s’insinuer habilement dans les querelles de ces princes malais, plus occupés de se nuire que de