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guerre. Un long circuit devait nous épargner la lutte obstinée à laquelle se résignent les clippers; mais, pour gagner la Chine par cette voie détournée, il fallait atteindre d’abord l’Océan Pacifique.

On sait que cette immense nappe d’eau, incessamment poussée vers l’Occident par les vents alizés, rencontre, avant d’atteindre les rivages de l’Asie, une chaîne d’îles à peine interrompue par d’étroits passages, barrière opposée, dès les premiers âges du monde, à sa vague majestueuse, et qui semble destinée à en amortir le choc. Des bords de la Nouvelle-Hollande à l’île Formose, on voit se développer successivement, vers le nord-ouest, la Nouvelle-Guinée, les îles de Gillolo et de Morty, le groupe des Tulour, les côtes abruptes de Mindanao, de Samar, de Luçon, et enfin, dernier effort de cette convulsion plutonienne, la chaîne des Babuyanes et des Bashis. Une branche distincte de ce vaste système relie de l’est à l’ouest les côtes de la Nouvelle-Hollande à celles de la presqu’île malaise, et offre à l’Océan Austral une barrière semblable à celle qui repousse les flots de l’Océan Pacifique. Timor, Java et Sumatra sont les principaux élémens de ce groupe, et forment, avec le vaste embranchement dirigé vers le nord, l’enceinte générale des mers de l’Indo-Chine. Pour se rendre à Macao, la Bayonnaise, en partant du cap de Bonne-Espérance, devait donc se diriger sur l’île de Timor, pénétrer dans l’Océan Pacifique en passant au nord ou au sud de Gillolo, s’avancer vers l’est à l’aide des brises variables qui règnent sous l’équateur, et venir de nouveau couper l’immense barrière près des îles Bashis, quand elle se serait placée par ce détour au vent du point qu’elle voulait atteindre.

Le 19 octobre, vigoureusement poussés jusqu’alors par les vents d’ouest, nous avions dépassé la hauteur de la Nouvelle-Hollande ; le 25, nous avions atteint le détroit qui sépare Timor de l’île d’Ombay. Aux grandes brises des mers australes avait succédé le souffle irrégulier d’une mousson encore incertaine. Nous n’avancions plus que lentement sur une mer presque immobile, dont le vent semblait à regret troubler l’azur. La grande île de Timor étendait à notre droite la placide majesté et les lignes régulières de ses coteaux chargés d’une sombre verdure; à notre gauche, les pics volcaniques de Florès, de Lomblen, de Panthar et d’Ombay dressaient leurs cônes de lave au-dessus des nuages effilés qu’on voyait errer dans les plis de la montagne et se suspendre aux lèvres des cratères. Il n’eût fallu qu’un jour pour franchir ce passage; mais des courans contraires nous disputaient avec obstination le terrain que nous avions gagné. Chaque heure de calme nous ramenait de trois milles en arrière. Nos vœux impatiens appelaient vainement la brise qui semblait souvent frémir à l’horizon et s’éteignait avant d’avoir pu arriver jusqu’à nous. Du haut du zénith, le soleil versait une épaisse langueur sur la nature entière.