Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un esprit prédisposé à la mysticité, et nous ne doutons pas qu’il n’y arrive, lorsqu’il aura secoué les quelques attaches terrestres et les quelques souvenirs du monde sublunaire qui l’égarent (lui qui pourtant est un strict observateur des convenances) au point de lui faire mêler dans les mêmes pages Alfred de Musset, Raphaël, la Trinité, Phryné, Laïs, Gerson et Mme Malibran.

Des deux conclusions que nous avons indiquées en commençant cette étude, la première est donc que si la cause de la crise actuelle est dans les relations de l’homme avec l’homme, le seul remède, c’est de faire ce que la révolution française n’a point fait et a oublié de faire. De la première de ces conclusions se déduit la seconde, qui est la nécessité de la conservation politique. Nous ne pouvons trouver de prompt remède à un mal moral, n’espérons pas de miracles. Cette réformation morale qui est inévitable ne peut se faire, comme jadis, par l’action ou la parole d’un individu ; cet individu, eût-il le génie et l’arme ardente des grands réformateurs d’autrefois, ne réussirait à être aujourd’hui qu’un sectaire ou un fanatique. Cette réformation doit se faire par l’action lente et successive des individus les uns sur les autres, d’une manière latente et sans brusquerie. L’homme seul est capable de former des relations avec ses semblables : ni les révolutions, ni les lois, ni l’autorité, ni la dictature ne peuvent lui en imposer de nouvelles, ni en établir de sincères et de vitales ; mais pour cela il faut l’action du temps ; lui qui ronge le fer et l’airain fait aussi pousser les roses ; lui seul corrodera nos vices et fera germer nos vertus. Pendant cet intervalle, le devoir de tous les hommes intelligens et influens, de tous ceux qui ont une conscience saine, un esprit droit et des entrailles charitables, est tout tracé et peut se résumer en deux mots : s’ils sont hommes politiques, qu’ils maintiennent et conservent à tout prix, qu’ils ne touchent en rien aux droits acquis, aux relations des citoyens, à la société, et qu’ils laissent le temps souverain maître des choses ; — s’ils sont philosophes, écrivains, publicistes, qu’ils remettent en lumière tout ce qui est oublié, tout ce que la conscience elle-même a perdu ; qu’ils n’imposent pas aux contemporains des croyances, mais qu’ils les amènent, ainsi que nous l’avons dit déjà, à s’examiner, à douter d’eux-mêmes et de leurs folles opinions.


ÉMILE MONTÉGUT.