Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de candeur, qui témoigne d’une grande honnêteté de sentimens et d’une grande modération d’esprit; mais la leçon de 1848 a dû les convaincre que c’était là une explication insuffisante. Qui ne voit également que l’histoire de M. de Lamartine est écrite au point de vue de l’opposition républicaine sous Louis-Philippe? De nos jours, la révolution française est tour à tour sottement attaquée et odieusement défendue; défenseurs et opposans n’ont aucune intelligence véritable de ce fait La révolution, pour être comprise, ne demande ni enthousiasme ni haine : c’est un de ces faits que l’intelligence froide et calme peut seule apprécier, qu’on ne peut comprendre avec le cœur, car le cœur le plus hardi s’intimide en sa présence; qui demande que l’on se réduise pour ainsi dire à l’état d’abstraction intelligente, que l’on oublie son éducation, ses préjugés, ses amitiés, ses ressentimens; que l’on oublie, si l’on a été frappé, ses morts chéris, ses proscrits, ses douleurs de famille, ses richesses perdues; que l’on oublie aussi ses convoitises, ses désirs d’égalité, le bienfait de l’indépendance et le souvenir d’un ancien état de sujétion et d’abaissement, si l’on est dans les rangs des victorieux. Jamais émigré, jamais parvenu n’arriveront à comprendre la signification de ce fait, faux et vrai en même temps, devant lequel ont hésité les plus hardies intelligences, et que n’ont pu parvenir à expliquer d’une manière satisfaisante les esprits les plus subtils.

On peut sentir déjà que nous acceptons la révolution française sous bénéfice d’inventaire, et, pour entrer aussitôt dans la question, nous allons dire ce que nous acceptons d’elle et ce que nous répudions. Vraie dans le but qu’elle s’est proposé, la révolution française est fausse comme point de départ, et par suite détestable dans la méthode qu’elle a employée pour arriver à la réformation de la société. En effet, pour procéder à cette réformation, elle a commencé par la destruction de la société au lieu de commencer par la réformation de l’individu, ou, pour mieux dire, elle ne s’est jamais inquiétée de cette réformation individuelle. Elle a voulu travailler pour l’individu sans sa participation. C’est de là qu’est venu tout le mal, et, pour bien faire sentir la vérité de notre assertion, nous mettrons la révolution en présence d’un autre grand fait qui s’est proposé un but identique à celui qu’elle a poursuivi : nous voulons parler de la réforme du XVIe siècle.

La réforme s’est proposé le même but que la révolution française, mais elle a mieux choisi son principe, et elle l’a mis sous la protection de Dieu. Elle a été un véritable progrès sur le moyen-âge, car elle a pris la civilisation au point même où la laissait la féodalité. La société du moyen-âge disait à l’homme : Tu dois être protégé, car tu es de ta nature enclin à l’idolâtrie, et tu n’es pas assez croyant pour être gouverné par Dieu seul. La réforme lui dit à son tour : Sois donc croyant, afin de pouvoir être digne de ce gouvernement divin. Dans ce sens, la réforme, on peut l’affirmer sans crainte, n’a fait qu’accomplir les