Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intelligence; c’est l’individu qui est mauvais. Ce n’est point la société qu’il faut médicamenter, c’est l’individu qu’il faut guérir. Insensés, qui croyez vous préserver des tempêtes en abattant votre abri, vous êtes plus ignorans que les sauvages qui coupent l’arbre pour avoir le fruit et qui tuent leur père pour ne point le voir vieillir!

Au moment où chacun se méprend ainsi sur le vrai principe de la crise sociale, il n’est pas inutile peut-être de montrer que le mal n’est point là où on le cherche. Le vrai motif, le motif persistant de la crise actuelle nous touche de plus près que tous ceux que nous allons chercher si loin pour fermer complaisamment les yeux sur nous-mêmes. On peut sans crainte absoudre complètement la société, les lois, les institutions, pour faire tout retomber sur l’homme, l’individu, sur les âmes de notre époque. Je me trompe peut-être; mais puisque depuis si long-temps nous analysons et critiquons la société pour trouver la cause de nos malheurs, puisque nous la refondons périodiquement pour nous guérir sans arriver à aucun résultat, peut-être serait-il profitable de s’attaquer à l’homme lui-même, et de tout attribuer à la mauvaise santé de notre ame. Qui sait d’ailleurs? au point de vue philosophique, la question est curieuse, elle est même neuve, tant nous avons pris l’habitude, depuis longues années, de vivre en dehors de nous-mêmes, de nous oublier et de ne pas nous connaître!

Les erreurs ont été si nombreuses, les sottises si grandes, l’aveuglement volontaire si exagéré, et les passions se sont livrées à de telles saturnales, que le parti socialiste lui-même en est venu à douter de ses anciennes doctrines, à se dire que le mal n’était peut-être pas là où il l’avait cherché et à avouer que lui-même l’avait multiplié et rendu plus vivace. Deux livres sont là devant nous, curieux par les aveux qu’ils renferment implicitement; les auteurs y maudissent l’esprit d’utopie, les sectes, l’anarchie : l’inquiétude est au fond de ces deux livres. Ce n’est plus le langage triomphant et superbe d’autrefois, ce ne sont plus les défis ridicules lancés à la société, les hymnes chantés à la louange de la révolution; l’un pose nettement, pour la première fois, cette question : — Y a-t-il raison suffisante de révolution au XIXe siècle? — Définir la révolution, qui se serait avisé de cela il y a trois ans? Soumettre à l’analyse et au doute méthodique la révolution! mais cela eût paru la pire des erreurs, des apostasies et des trahisons. Il n’aurait pas manqué de docteurs pour s’écrier que la révolution n’a pas besoin d’être mise en question, et qu’on ne définit pas ce qui vit et ce qui parle. Le second cherche de son côté comment la révolution est conciliable avec l’ordre, et par ce dernier mot il ne faut pas entendre l’ordre utopique dont on nous entretenait il y a trois ou quatre ans, qui ne pouvait être établi qu’après le règne nécessaire du désordre; il faut entendre l’ordre matériel, le statu quo nécessaire aux sociétés. Cependant l’un et l’autre écrivains restent socialistes.