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J’épouserai un ingrat et un voleur, cela est aussi sûr que l’existence du bon Dieu. Eh bien donc ! puisque c’est une chose certaine, je cherche dans ma tête une excuse à mon amour, et je sens que si vous pardonniez à Nino, s’il trouvait un moyen de vous arracher un sourire, un mot bienveillant, un signe qui ressemble tant soit peu à un pardon, je serais tirée de ma peine, car ce sera un amer chagrin pour moi, un dépit à en pleurer tout le jour de mes noces, si je me marie sans votre bénédiction.

— Vous aurez ma bénédiction, dit sir John, et Nino s’en passera bien, s’il vous épouse.

— Non, cher seigneur ; il ne peut s’en passer. Je ne le souffrirai point. Allons, petit malheureux ! viens ici et trouve un moyen de toucher ce clément seigneur que tu as offensé par tes fautes et tes sottises.

Nino, caché derrière Giovannina, parut la tête basse, le regard en dessous, les bras pendans.

Pauvre moi ! dit-il en pleurant, que puis-je imaginer pour témoigner mon repentir ? pêcheur que je suis, d’avoir volé un patron si magnifique et si humain, qui m’avait donné des bottes ! Je n’ose plus les porter depuis mon crime, et je marcherai pieds nus toute ma vie par pénitence.

Les trois Anglais, qui n’entendaient pas le napolitain, demandèrent à leur ami de quoi il s’agissait.

— Ce drôle a été mon domestique, dit sir John, et je l’ai chassé pour des motifs graves. Poursuivons notre promenade.

Et les quatre Anglais alignés de front s’avancèrent bien lentement, poussant la fumée de leurs cigares avec un sang-froid désolant, tandis que Giovannina et Nino marchaient devant eux à reculons, et parlaient tous deux à la fois.

— Puisque tu ne sais pas exprimer ton repentir, disait la jeune fille, puisque tu ne trouves pas dans ton cœur vicieux une parole honnête et touchante pour émouvoir la pitié de mon protecteur, petit monstre d’ingratitude, je différerai notre mariage d’un mois encore.

Ahimè ! dit Nino, je suis perdu ; je n’ai plus qu’à me noyer. O puissant seigneur, vous de qui dépend mon bonheur, entendez ce qu’elle dit ; ayez compassion d’un amant au désespoir !

Le visage de sir John demeurait impassible, comme s’il eût été de marbre. L’état de plénitude des quatre étrangers n’échappa point au coup d’œil prompt du petit Nino. À travers ses lamentations, une voix secrète et confuse lui disait que ce silence et cette immobilité déguisaient une sorte d’abrutissement passager dont un homme habile devait tirer parti. Il n’avait dans l’estomac qu’un verre d’eau de la fontaine du Lion, le pauvre garçon, et il se sentit tout à coup supérieur à ces automates engourdis par la bonne chère et le vin. Si la dignité