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dans ce pays où un esprit industrieux n’a pas à craindre la concurrence. Vous pourriez épouser quelque riche marchand. Un mari gueux deviendra une entrave et vous rejettera dans la médiocrité pour toute votre vie. Maintenant vous êtes avertie : faites ce que vous voudrez ; mais attendez un peu, que j’adresse en votre présence une question à ce coquin.

Sir John fixa de ses prunelles claires un regard terme et pénétrant sur le pauvre Nino.

— Réponds-moi, dit-il sèchement, regarde-moi en face, petit drôle, et tâche de ne point mentir. Est-ce par ambition ou par amour que tu recherches Giovannina ?

— Excellence ! s’écria Nino, voyez comme elle est belle !

— Bérénice aussi était belle ; pourquoi l’as-tu abandonnée ?

— Parce qu’elle était méchante autant que belle, excellence. L’événement l’a prouvé. Puis-je aimer qui a voulu me faire assassiner ? Ah ! mon bon seigneur, ce qui change en joie et plaisir la peur que je viens d’avoir, c’est cette pensée que la cruelle Bérénice n’a plus de droits sur mon cœur, et que je puis le donner tout entier à ma nouvelle amie, sans mériter un reproche.

— Il a bien répondu, dit Giovannina en battant des mains ; il faut en convenir, si vous êtes juste. Cher seigneur, que me fait un riche marchand ? Que me fait plus ou moins de fortune ? Je ne comprends pas bien pourquoi Nino serait au-dessous de moi, et pour quelle raison je n’aimerais pas un domestique. Laissez-moi l’épouser, vivre avec lui, heureuse de ma médiocrité. Il a bien répondu à vos questions. Le même jour, il sort vainqueur d’un combat périlleux et de l’examen le plus difficile qu’un amant puisse subir. Est-il possible qu’une si grande épreuve n’adoucisse point votre sévérité ?

L’Anglais continuait à observer la physionomie mobile du petit lazzarone, qui reflétait comme un miroir tous les sentimens de Giovannina. A la fin, le regard de sir John parut moins dur ; une espèce de sourire dérida ses lèvres minces. L’émotion et l’attendrissement de la jeune fille avaient communiqué à l’homme du Nord un semblant de chaleur, et la pâle flamme de la pitié s’était glissée dans ce cœur enveloppé de glace.

— J’en conviens, dit-il, Nino a bien répondu. Je n’ai plus d’objection à faire à son mariage. Attelez-vous tous deux au chariot de la misère, comme des bœufs. Les frais de la noce vous ruineraient ; je m’en chargerai. Que vous faut-il pour vous marier ?

— Un lit en fer, une table, deux chaises de paille et quatre ou cinq piastres pour payer le fiacre, la musique et le festin, répondit Nino : celui qui possède toutes ces choses n’est plus un lazzarone et peut prendre femme.