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écrits. Ses passions du moment sont fort contradictoire, je l’avoue ; ses paroles le sont un peu moins ; ses pensées ne le sont pas du tout.

D’où vient la croyance que j’ai en la bonne foi de Mirabeau ? Je crois à la parole d’un mourant. Trois jours avant sa mort, Mirabeau disait à la M. de La Marck : « Mon cher ami, j’ai chez moi beaucoup de papiers compromettans pour bien des gens, pour vous, pour d’autres, surtout pour ceux que j’aurais tant voulu arracher aux dangers qui les menacent. Il serait peut-être plus prudent de détruire tous ces papiers ; mais je vous avoue que je ne puis m’y résoudre. C’est dans ces papiers que la postérité trouvera, j’espère, la meilleure justification de ma conduite dans ces derniers temps ; c’est là qu’existe l’honneur de ma mémoire ; ne pourriez-vous emporter ces papiers, les mettre à l’abri de nos ennemis, qui, dans le moment actuel, pourraient en tirer un parti si dangereux en trompant l’opinion publique ? Mais promettez-moi qu’un jour ces papiers sseront connus, et que votre amitié saura venger ma mémoire en les livrant à la publicité[1]. » Au lieu de regarder ces notes pour la cour comme autant de témoins qui justifiaient sa politique et qui en révélaient l’intention. Il y avait donc dans ces papiers sa vraie pensée, celle qu’il voulait montrer à la postérité. Ce n’était pas comme orateur révolutionnaire qu’il voulait paraître dans l’avenir, c’était comme l’homme qui avait voulu empêcher la chute de la monarchie, qui avait voulu régénérer et raffermir la royauté.

Ce n’est pas seulement à ses derniers momens que Mirabeau parlait ainsi. Déjà, au mois de juillet 1790, il s’était cru près de mourir, et il avait à cet instant suprême confié aussi au comte de La Marck ses papiers secrets et le soin de sa mémoire. Les billets qui se trouvent dans sa correspondance, au sujet de ce dépôt, sont nobles et touchans. « Voilà, mon cher comte, deux paquets que vous ne remettrez qu’à moi, quelque chose qu’il arrive, et qu’en cas de mort vous communiquerez à qui prendra assez d’intérêt à ma mémoire pour la défendre[2]. » Et M. de La Marck lui répond : « Si j’existe lorsque la chose publique, universelle, vous perdra, ma profonde amitié pour vous, le culte que je rends à votre supériorité, assureront à votre mémoire tout ce dont je suis capable. Ce serait peu de chose ; mais le zèle le plus exclusif saura, à défaut de toute autre qualité trouver ceux qui seront dignes de parler de vous. » Nobles et simples paroles dont Mirabeau ressentait dignement la grandeur affectueuse, et qui ranimaient son ame tourmentée ! « Je suis très touché de votre billet, mon cher comte, et je vous assure que mon courage est très ravivé de l’idée qu’un

  1. Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de La Marck, tome Ier, p. 256.
  2. Tome II, p. 109.