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bâton. Puisque vous ne m’aimez point, qu’ai-je besoin de la vie et de la liberté ? Mon esclavage sera moins dur que celui de l’amour. Adieu, retournez chez votre père. » Et les rameurs joyeux vous ramèneraient à terre en chantant : Oïzza ! vogue ! vogue ! Mais vous êtes en sûreté ici, vous n’avez rien à craindre de Cariadin, et vous pouvez me mépriser à votre aise, parce que je suis pauvre. Adieu, Giovannina ; j’aurais eu plus de plaisir à mettre votre corbeille sur ma tête que si c’était une couronne.

Nino tourna sur ses talons et partit en courant. Il retrouva les laveuses en train de plier bagage. Les jeunes gens profitèrent de l’occasion pour offrir galamment le secours de leurs bras ; on se divisa en deux bandes qui rentrèrent à Naples, l’une par Pausilippe et l’autre par la porte d’Antignano. Bérénice, qui avait plus jasé que ses compagnes, était restée seule à la fontaine et se hâtait d’achever tant bien que mal son ouvrage. Grâce au peu de soin qu’elle prenait, ce ne fut pas long. Quand elle eut lavé et tordu sa dernière pièce, elle jeta son linge dans sa corbeille, posa le tout sur sa tête et se dirigea vers Pausilippe d’un pas nonchalant. Nino ne manqua pas de venir se planter à côté d’elle. Dans un champ, il cueillit un épi, et avec la barbe du seigle il chatouilla le cou de la laveuse.

— Il faut bien, lui dit-il, que je vous taquine un peu, belle Bérénice ; vous m’avez jeté du savon au visage, et vous me devez un baiser en réparation d’une offense si grave. Je vous le prendrai tôt ou tard, de gré ou de force, par surprise ou autrement.

— La force et la surprise sont de mauvais moyens avec moi, répondit Bérénice.

— Et la prière ?…

— Ne vaut guère mieux quand une fois j’ai dit non. car je suis bien entêtée, seigneur Nino, je vous en avertis.

— Entêtée, cruelle, impitoyable, fière et méchante, on le voit sur votre visage ; mais je m’y prendrai tout doucement, de loin, sans vous heurter, sans jamais vous dire combien je vous trouve belle, aimable et charmante, et, au moment où vous y penserez le moins, vous me voudrez du bien.

— Oh ! que je suis aise de savoir votre projet ! répondit Bérénice ; à présent, je me tiendrai sur oies gardes. Vous êtes un rusé compère, et votre plan était excellent ; mais il ne fallait point me le dire. Vous voilà pris dans votre piège, et je suis encore plus rusée que vous.

Bérénice avait commencé par répondre aux attaques du petit Nino d’un air plus solennel que si elle eût été la reine Sémiramis en personne ; mais déjà, son humeur folâtre s’animant peu à peu, elle montrait en souriant les perles de sa bouche, et des éclairs de gaieté jaillissaient de ses yeux.