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fille qu’il a aperçue un soir au château de Saint-Germain, où résidait alors le roi d’Angleterre, Jacques II, sous la protection de Louis XIV, Le comte de Rochanabeau, en débarquant dans une auberge de Madras, la trouve occupée par une troupe de flibustiers, qui lui parlent aussitôt d’une femme mystérieuse, la Barbe-Bleue, dont la main s’est déjà appesantie sur quatre maris qui ont tous disparu l’un après l’autre. Cette terrible femme, qui fait une si grande consommation de maris, habite un château assis sur un roc escarpé et de toutes parts impénétrable. Sans plus ample informé et sans autre intérêt que la curiosité, le comte de Rochambeau, suivi d’un compagnon de voyage qui s’appelle le chevalier de Lantillac, se décide à visiter la terrible Barbe-Bleue malgré tous les dangers dont on le menace. On a déjà deviné que cette femme mystérieuse n’est autre que la belle inconnue que le comte a vue une seule fois au château de Saint-Germain, et dont le souvenir est resté gravé dans son cœur. Au troisième acte, les choses s’éclaircissent encore davantage, car on apprend, non sans peine et encore moins sans ennui, que la Barbe-Bleue est la propre nièce du roi Jacques II, qui se croit obligé de donner en mariage au comte de Rochambeau cette nièce bien-aimée. C’est là, on le voit, une fable dénuée d’intérêt comme de vraisemblance ; malheureusement la musique n’est pas de nature à atténuer l’ennui que vous fait éprouver la prose de M. de Saint-Georges. M. Limnander est un Belge qui est venu s’établir en France depuis plusieurs années. Il s’est fait connaître d’abord par quelques morceaux détachés qui ont été exécutés dans un ou deux concerts publics, puis par un opéra-comique en trois actes, les Monténégrins, où l’on a remarqué du talent et une certaine vigueur de style. La musique de la Barbe-Bleue confirmera, sans y rien ajouter, l’opinion qu’on s’était faite du mérite de M. Limnander. Il est assez curieux de remarquer en passant que, depuis qu’on s’occupe avec succès de musique instrumentale, on ne sait plus faire une ouverture en France. Ni M. Félicien David dans la Perle du Brésil, ni M. Limnander dans la Barbe-Bleue, n’ont réussi à condenser dans un avant-propos symphonique les principales idées qui se trouvent éparses dans leurs partitions. M. Limnander a bien essayé de composer une ouverture assez développée et que l’on a pu entendre à la répétition générale de son dernier ouvrage, mais le compositeur s’est ravisé depuis, et il a eu le bon esprit de supprimer l’ouverture en ne laissant que quelques mesures d’introduction qui ne manquent pas de couleur. Au premier acte, on remarque une ballade, Sur la cime du pic terrible, qui ressemble à toutes les ballades qu’on entend à l’Opéra-Comique. Un duo pour soprano et ténor entre le comte de Rochambeau et Mirette, la suivante de la Barbe-Bleue, dont l’andante a de la grâce, mais qui n’est dans son ensemble qu’un long point d’orgue à deux voix ; un air de basse que chante le boucanier, écrit avec prétention, et puis une romance de ténor qui n’a rien de saillant, complètent le menu de cet acte. À l’acte suivant, dont la scène se passe dans l’intérieur du château de la Barbe-Bleue, on peut signaler un chœur chanté dans la coulisse, un quatuor sans grands développemens, une nouvelle ballade, à Lahore jadis régnait un roi, dont la mélodie connue pourrait bien être empruntée à quelque chanson populaire. Au troisième acte, qui est d’une longueur à fatiguer la plus angélique patience, se trouvent une gracieuse romance pour voix de ténor, un duo en écho qui exprime une des situations les plus burlesques qu’on puisse