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Et la pauvre fauvette, effrayée à ce bruit.
Se dresse en frémissant sur ses œufs et s’enfuit.
Il se penche aussitôt sur la haie entr’ouverte,
Il arrache le nid à sa retraite verte;
Mais à son doigt impie un des œufs s’est heurté,
Un lambeau de chair vive, informe, ensanglanté.
S’échappe de la coque et tombe sur la terre.
Lui, sans s’inquiéter des plaintes de la mère,
De la haie entamée et du nid violé,
Et laissant sur ses pas ce monde désolé,
Rempli d’indifférence et de calme et de joie,
Il poursuit son chemin, cherchant une autre proie.

Ainsi, peuple léger, pareil à cet enfant,
Combien, sans y songer, sous ton pied triomphant.
Tu brises en passant d’existences tranquilles!
Que de travaux perdus, que d’efforts inutiles!
Que de stériles fleurs, de germes avortés,
D’édifices croulans, de plans décapités!
O peuple insouciant, que d’utiles idées,
Qui germaient lentement, par le temps fécondées.
Meurent avant d’éclore et de porter un fruit,
Embryons qu’au hasard ta rude main détruit.


CHARLES REYNAUD.