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gravées de l’auteur ne comprennent pas moins de cent deux sujets, et pourtant je pense que les six compositions dont je viens de rappeler les noms nous montrent le savoir et le talent de M. Ingres dans toute leur profondeur, dans toute leur variété.

Personne ne saurait nier que le Martyre de saint Symphorien ne soit empreint de grandeur et d’énergie. Le visage du personnage principal exprime très bien l’extase et l’abnégation. Chacun comprend que le héros marche au supplice avec joie. La mère, placée à la gauche du spectateur, dans le fond du tableau, et qui d’un geste ardent encourage son fils à mourir pour son Dieu, est une heureuse conception. Peut-être vaudrait-il mieux que la foule qui se presse autour du saint fût un peu moins drue et permît à l’œil de comprendre plus facilement le mouvement des figures. Toutefois ce n’est pas, à mon avis, le seul reproche qui puisse être adressé à cette composition d’ailleurs si grave, si imposante, et qui excite dans tous les cœurs une émotion profonde. Si l’on passe, en effet, de l’étude poétique à l’étude technique, on ne tarde pas à s’apercevoir que l’auteur, malgré son culte pour Raphaël, n’a pas suivi fidèlement les leçons du maître, ou du moins n’a pas consulté la partie la plus harmonieuse de ses œuvres. Le Martyre de saint Symphorien ne rappelle en effet, dans l’exécution, ni l’École d’Athènes, ni le Parnasse, ni l’Héliodore, mais l’Incendie du Borgo et les Sibylles de Sainte-Marie-de-la-Paix, c’est-à-dire les œuvres où Raphaël a engagé la lutte avec Michel-Ange. Or tous ceux qui connaissent le peintre d’Urbin savent à quoi s’en tenir sur l’issue de cette lutte. L’Incendie du Borgo, les Sibylles de Sainte-Marie-de-la-Paix, l’Isaïe de Saint-Augustin, malgré le mérite éclatant qui les recommande, sont très loin de pouvoir se comparer pour la beauté, pour la spontanéité, pour l’abondance, pour l’harmonie, à l’École d’Athènes, au Parnasse, à l’Héliodore. M. Ingres ne l’ignore pas sans doute ; et pourtant, dans l’exécution de son tableau, il a suivi les fresques de Sainte-Marie et de Saint-Augustin, au lieu de suivre les fresques du Vatican. C’est une erreur facile à expliquer, et que le goût pourtant ne saurait amnistier. L’auteur, voulant répondre à ceux qui l’accusaient de ne pas modeler avec assez de puissance, a pris pour guide la période impersonnelle, la période exagérée de Raphaël. Il a pleinement révélé tout son savoir ; mais il a mis dans cette révélation tant d’ostentation et de fierté que la composition a perdu en harmonie ce qu’elle a gagné en précision. Cependant, malgré ces réserves, le Martyre de saint Symphorien est assurément une des œuvres les plus considérables de notre temps. Pour concevoir un tel sujet, pour en ordonner l’économie avec cette grandeur, il faut posséder tout à la fois une imagination ardente, un esprit habitué à la réflexion. Quant à l’erreur purement technique dont je parlais tout à l’heure, pour s’y laisser aller, il est nécessaire de