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réservant de le modifier, de le contredire, de le renier au besoin. Le respect de la forme, l’harmonie linéaire convenaient merveilleusement à son esprit. Quant à subordonner la peinture aux données du bas-relief, c’était une condition qu’il ne pouvait accepter, et toute sa vie est là pour le prouver. Je lui sais bon gré, pour ma part, de sa docilité comme de sa protestation. Il a suivi, peut-être à son insu, le précepte posé par François Bacon : il faut que celui qui étudie ajoute foi à celui qui enseigne ; mais, en se résignant à la docilité pour l’étude des notions élémentaires, il n’a pas abdiqué son indépendance, et c’est à cette résistance qu’il doit son originalité. Oui, je dis son originalité, car j’espère prouver par l’examen de ses œuvres que M. Ingres, qui a voulu, qui a prétendu s’absorber dans l’école romaine, est demeuré lui-même. Il a eu beau faire, il a eu beau s’efforcer de ressusciter le XVIe siècle et de ranimer les cendres du passé ; sa pensée a déjoué tous les efforts de sa volonté. Quoi qu’il ait fait, quoi qu’il ait tenté, il vit par lui-même, et son culte pour l’école romaine ne l’a pas empêché de prendre rang dans l’histoire. Je ne veux pas m’arrêter à discuter ses espérances et ses vœux. Ce qui, pour moi, demeure évident, c’est qu’en se séparant de David pour se ranger sous la discipline de Raphaël, il n’a pas réussi à effacer complètement le type original de sa nature : il a senti que David relevait de la statuaire bien plus que de la peinture, et il s’est réfugié dans l’école romaine comme dans un asile inviolable et salutaire. Il faudrait ne pas connaître l’école romaine pour affirmer que M. Ingres doit à cette école tout ce qu’il a pensé, tout ce qu’il a dit. Pour ma part, je ne l’ai jamais cru et je m’empresse de le déclarer : si la pensée de M. Ingres se fût complètement réalisée, il n’aurait pas de place marquée dans l’histoire. Malgré lui, à son insu, il est demeuré lui-même, et c’est par cela seul qu’il vit, qu’il a pris rang, que ses œuvres ont exercé sur la génération présente une puissante action. Il est facile de le démontrer, et l’analyse des compositions que M. Magimel a réunies ne laissera aucun doute dans l’esprit de la foule ; pourtant, avant d’entamer l’analyse de ces œuvres, il convient de rappeler sommairement les voyages de M. Ingres.

M. Ingres a compris sans doute dès l’âge de vingt ans tout ce qu’il y avait de violent et d’exagéré dans l’enseignement de David. Dès l’âge de vingt ans, il a senti la différence profonde qui sépare la peinture de la statuaire. Obligé par les événemens politiques de retarder son départ pour l’Italie, il est probable qu’il savait d’avance tout ce que l’Italie devait bientôt lui révéler en traits éclatans. Les gravures de Marc-Antoine sont en effet, pour tous les esprits délicats, un enseignement assez clair, et d’ailleurs, sans recourir au graveur de Bologne, qui laisse bien loin derrière lui tous ceux qui ont essayé de traduire le génie de Raphaël, il est facile de trouver dans la galerie du Louvre,