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que la vie de ceux qui se consacraient à la cause du peuple et qui ne pouvaient travailler qu’avec l’esprit, et non comme nous avec les bras, n’a été qu’un martyre prolongé, — et tout cela à cause des railleries et des cris poussés par les riches et les malicieux! Prenez garde, disaient-ils aux patriotes salariés. Pourquoi donc le patriote pauvre ne serait-il pas salarié, si ce salaire est nécessaire à son existence? Est-ce que les soldats se battent gratuitement? Si vous êtes d’honnêtes gens, vous ne manquez pas de payer votre cordonnier et votre tailleur; et pourquoi donc ne paieriez-vous pas celui qui orne et revêt de science votre intelligence, et qui trace la route et marque le but de vos destinées politiques? Si vous êtes honnêtes et sages, vous verrez l’importance de ce que je vous dis. »

On ne peut pas demander avec plus de sans-façon à absorber le budget de l’état démocratique. C’est l’ancienne sportule romaine transportée des masses des prolétaires aux gens de lettres. Mais que dites-vous de la race des écrivains transformée ainsi en une classe de mendians? Tous ceux qui se sont dévoués aux classes populaires jusqu’à nos jours savaient bien qu’ils n’avaient rien à attendre que de Dieu; il n’appartenait qu’aux modernes radicaux d’escompter le dévouement et de transformer leurs vagues sympathies en solides sinécures. Se dévouer au peuple, si le conseil de M. Horne était suivi, deviendrait la plus lucrative des professions; mais jamais nous n’avions vu exprimer avec plus de franchise et d’aplomb le proverbe populaire, que l’autel devait nourrir son prêtre; un phalanstérien aurait reculé devant la profession de foi que nous avons citée.

L’auteur du Dreamer and the Worker exprime, on le voit, des idées diamétralement contraires à celles que professe l’auteur d’Alton Locke. Ce dernier conseillait aux masses populaires de se défier précisément de ceux auxquels M. Horne leur conseille de se donner corps, ame et biens; il les engageait à défendre elles-mêmes leur cause et à ne pas laisser des hommes d’un dévouement équivoque et d’une bonne foi problématique exprimer des sentimens qu’ils n’ont pas ressentis et décrire des souffrances qu’ils n’ont pas éprouvées. Combien ce dernier conseil est plus sage! Que les classes populaires anglaises apprennent par l’exemple de la France quels maux les attendent, elles et leur patrie, si elles se laissent gouverner et conduire par des utopistes ambitieux et des journalistes exploiteurs des crédulités, des superstitions et des désirs des multitudes! Qu’elles sentent combien il est humiliant pour elles de se dire qu’elles ont absolument besoin de pédagogues et de précepteurs, qu’elles sont trop ignorantes, ou trop brutales, ou trop imprévoyantes pour pouvoir se guider elles-mêmes, qu’elles ne sont pas capables de voir par elles-mêmes ce qui leur convient et qu’aucune bonne pensée ne peut germer dans leur tête ! Je ne sais si l’Europe doit