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lui venir en aide. Jusque-là nous n’avons rien à dire, mais il s’agit de connaître ce que l’auteur entend par l’action et ce qu’il entend par la pensée; or, je le crains bien, il confond l’action avec la force, avec le pouvoir du nombre et la vigueur des bras, et la pensée avec la chimère, la rêverie oisive et sans emploi. Il reconnaît le pouvoir des masses, mais il leur conseille d’accepter pour chefs et pour guides les hommes de lettres et les journalistes. Il s’écrie avec un moderne poète démocratique que le paradis pourrait être réalisé sur la terre, si les prolétaires mettaient leurs bras au service des rimeurs et les rimeurs leurs chansons au service des prolétaires. De pareilles puérilités ne se réfutent pas, et l’on ne peut y répondre que par le mot de Molière : Vous êtes orfèvre, monsieur Josse. M. Horne, l’auteur du livre, est orfèvre en effet, c’est-à-dire qu’il est homme de lettres et qu’il écrit des élucubrations démocratiques parce que telle est la manie du jour, comme il eût écrit autrefois des bouquets à Chloris ou d’innocentes idylles. Loin de nous la société anglaise, s’écrie-t-il, avec ses privilèges, son aristocratie, ses traditions! tout doit être refait de fond en comble, et sur un plan beaucoup plus simple. Les masses populaires en bas travaillant, forgeant le fer, tissant le coton, semant le blé; les gens de lettres en haut, écrivant des poèmes, des romans, faisant des systèmes et des utopies : quel idéal de société ! Les gens de lettres et les journalistes, en leur qualité de rêveurs, seront donc les véritables rois et les véritables chefs de cette société; mais M. Horne ne se contente pas de la domination et du pouvoir : il lui faut quelque chose de plus solide, l’argent. Non-seulement les travailleurs devront remettre le pouvoir entre les mains des rêveurs, non-seulement ils leur devront respect et obéissance, mais encore ils devront, sur leurs économies, prélever un budget pour ceux qui les ont si bien et si libéralement instruits. Nous ne pensions pas que l’aberration pût aller aussi loin en Angleterre, pays de bon sens pratique proverbial; nous supposions que de telles folies devaient être laissées à notre comité des réfugiés de Londres; aussi ne pouvions-nous en croire nos yeux lorsque nous avons lu le passage suivant, qui résume à lui seul l’esprit du livre entier. C’est l’ouvrier modèle, l’ouvrier qui vit dans la société des écrivains subalternes et qui se laisse tout doucement fausser l’esprit par eux, l’ouvrier docile aux conseils et aux enseignemens des habits noirs, tout pénétré qu’il est, dirait-on, de ce vieil adage de jurisprudence, que la forme emporte le fond; c’est Harding qui s’adresse ainsi à ses compagnons de travail. « Travailleurs, recherchez soigneusement vos véritables amis, vos conseillers capables, vos précepteurs sincères et désintéressés. S’ils sont pauvres comme vous, chérissez-les, et prenez garde qu’en laissant leurs corps à moitié affamés, vous n’affamiez aussi vos âmes. Vous vous êtes souvent rendus coupables de ce délit, à votre grand dommage, de sorte