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l’appliquer plus dans son esprit que dans sa lettre stricte. Les radicaux eux-mêmes ne demandaient autre chose qu’une réforme générale dans le système politique. afin d’épuiser toutes les conséquences de la constitution de 1688 et d’établir en fait ce qu’elle contenait en esprit. Ces trois partis sont aujourd’hui représentés à la chambre des communes par sir Robert Inglis, lord John Russell. M. Roebuck et M. Hume. Mais est-ce sur ces personnages, si éminens qu’ils soient, que se tourne aujourd’hui noire attention? est-ce sur les opinions qu’ils représentent que se porte notre intérêt? Non, notre attention et notre intérêt se tournent bien plus volontiers du côté de M. Disraeli, de M. Cobden et des meetings chartistes; ils se tournent bien plus même du côté de M. Feargus O’Connor, déjà dépassé. Aujourd’hui les partis ne représentent plus que les différentes classes de la nation. Les tories sont, par exemple, les représentans de l’aristocratie territoriale et de la propriété telle qu’elle est établie en Angleterre, preuve certaine que la propriété et l’aristocratie sont menacées, et ils défendent ces institutions par des argumens tellement mêlés de chimères romanesques, qu’on peut en conclure que le système politique qu’ils soutiennent est déjà tombé en désuétude, et que, bien qu’existant encore en apparence, il n’existe en réalité que dans le passé. Aujourd’hui, les radicaux représentent les intérêts particuliers de l’industrie et les classes moyennes, preuve certaine que les classes moyennes ont d’autres ambitions qu’autrefois, qu’elles se séparent du reste de la nation, et veulent agir pour elles-mêmes, par leurs propres forces. Autrefois les classes populaires ne formaient point un parti politique, aujourd’hui elles forment l’armée du chartisme. Toutes les classes de la société anglaise se montrent, non encore hostiles, mais en présence, non désunies, mais séparées, non encore en ordre de bataille, mais en ordre pacifique, comme pour une manifestation politique ou un meeting. Elles se présentent à nous isolément, si bien qu’on peut déjà étudier leur caractère, observer leur tactique et dénombrer leurs forces respectives. Voilà un des côtés sombres du tableau que présente l’Angleterre actuelle; hâtons-nous d’ajouter qu’on n’aperçoit cependant, dans cette transformation, aucun signe d’affaiblissement ni de décadence, que dans chaque parti les forces sont nombreuses, que jusqu’à présent ni la crainte ni les appréhensions de l’avenir ne se sont manifestées, et que tous, même les chartistes, font preuve d’un esprit d’ordre et de sagesse qui nous a trop souvent manqué.

Un autre signe néfaste, c’est le rôle qu’aspirent à jouer de plus en plus les journalistes et les hommes de lettres dans la Grande-Bretagne. Jusqu’à ce jour, le nombre des hommes de lettres parvenus à l’exercice du pouvoir, ou seulement parvenus à participer à la vie politique, avait toujours été extrêmement rare en Angleterre. Si Canning n’eût eu