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conquérir ce qui peut leur porter ombrage. Ils n’attendent pas qu’on vienne les attaquer, ils vont au-devant de l’ennemi; ils sortent armés des mêmes armes que les siennes, et cet empressement à aller au-devant des périls les plus grands qu’aient jamais courus les sociétés poliliques implique une profonde conscience de leur droit individuel, un ferme propos de ne pas se laisser abattre, la résolution de soutenir la lutte et de défendre leurs intérêts et leur position. Il y a aussi (et il ne faut pas l’oublier) un grand sentiment du devoir politique qui les pousse à mettre leur conscience à l’abri, à faire tout ce qu’ils peuvent faire afin de ne porter le poids d’aucun remords, si jamais doit arriver le jour suprême des luttes décisives, des répressions ou des révolutions, des victoires ou des défaites. Ce qui a toujours préservé la société anglaise, c’est qu’avant chaque lutte, chaque combat, il y a toujours eu chez elle, entre les adversaires, une suite de conférences, de temporisations et comme d’entrevues avant la guerre, où chacun a longuement exposé ses griefs, les motifs de sa conduite et les points sur lesquels il était possible de s’entendre pour arriver à une transaction; c’est que chaque individu, après avoir fait sa confession intérieure et avoir apprécié la légitimité de ses actes, n’a jamais reculé devant leurs conséquences nécessaires.

Cependant, si ce mouvement est aujourd’hui sans danger réel, on ne peut se dissimuler que des points noirs apparaissent çà et là à l’horizon; l’antique édifice se crevasse, et, dans ses fentes, germent et grandissent des plantes parasites et des végétations inconnues jusqu’alors, qui, si elles ne sont extirpées à temps, pourraient bien embrasser l’édifice tout entier, le ronger et le détruire. Et ici nous ne parlons pas des phénomènes et des accidens qui, depuis deux ans, ont fait apercevoir la sourde fermentation des masses populaires, comme la réception faite à Kossuth et les outrages prodigués au général Haynau. On a fait peut-être trop de bruit autour de ces deux événemens, que suffisent à expliquer, après tout, les préjugés politiques de l’Angleterre et ses intérêts hostiles au continent. La transformation que subissent en ce moment ses partis politiques est un fait qui doit bien plus attirer l’attention. Depuis la révolution de 1688 jusqu’à ces dernières années, ces partis n’avaient été que les organes des différentes opinions qui régnaient dans la Grande-Bretagne, les tories n’étaient que les représentans du système politique en vigueur et les défenseurs de l’église anglicane, les défenseurs des pouvoirs officiels et légaux; les whigs n’avaient été que les représentans des opinions libérales et d’un protestantisme plus populaire; ils n’étaient que les interprètes de cette constitution dont les tories étaient les gardiens officiels, et ils bornaient leur rôle à expliquer plus spirituellement et moins judaïquement que les tories la constitution anglaise; ils mettaient toute leur ambition à