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réformistes anglais font usage au contraire du microscope pour mieux voir les faits et mieux convaincre leurs compatriotes, hommes peu enclins, comme chacun sait, à la crédulité, aux erreurs de l’imagination et aux sympathies métaphysiques. Le socialisme, il faut bien le constater en dépit du chartisme, n’est pas pour l’Angleterre une doctrine, c’est une question politique et économique, absolument comme la réforme électorale ou le libre échange. Les partisans clairsemés de Robert Owen et de Fourier ne sont pour rien dans ce mouvement, et l’expérience démontrerait, le cas échéant, qu’ils lui sont même opposés. C’est un mouvement entièrement à l’anglaise, malgré les efforts que quelques chefs chartistes, aidés sans doute des bons conseils de nos réfugiés politiques, ont fait et font encore pour le transformer en un mouvement à la française. Les faits dominent dans les livres prétendus socialistes qu’on voit paraître en Angleterre, malgré les efforts de certains écrivains, piqués de vanité philosophique, qui s’évertuent à l’envi pour faire croire qu’ils ont des doctrines, un système, et qu’ils ne sont pas, en un mot, plus pratiques que d’autres. Leurs tentatives métaphysiques, au lieu de ressembler à ces bulles de savon bien soufflées et bien colorées que les réformateurs français ont l’art de former, rappellent ces tentatives qu’à diverses époques les fous de différens pays ont faites pour s’élever dans les airs et monter aux astres. Les utopistes anglais inventent des expédions grotesques, et s’attachent aux épaules des ailes artificielles : la chute est immédiate, et presque toujours elle est lourde.

Pour trouver la doctrine que contiennent ces livres, il faut se reporter à l’esprit de l’auteur, chercher la secte, le parti, l’école à laquelle il appartient; on n’y rencontre pas d’autre système que le caractère de l’écrivain, sa profession, sa croyance, et en cela, on le voit, ils sont anglais et très anglais. Si l’auteur est un cordonnier, un menuisier, un prolétaire enfin, le livre est violent, plein d’imprécations et d’invectives; si c’est un aristocrate, il est froid, précis, plein de faits appelant une conclusion favorable aux idées de tel ou tel parti; si c’est un homme de lettres, il est ironique et moqueur; si c’est un clergyman, il est biblique et parsemé d’homélies. Le ton, l’humeur, le tempérament, les griefs propres à chaque classe de la société et à chaque profession, voilà les systèmes et les doctrines que renferment les écrits des réformistes anglais. Ils échappent ainsi à la discussion, et n’en ont d’ailleurs que plus de portée. On peut discuter une théorie et la réfuter; mais comment réfuter la mauvaise humeur, le mécontentement et l’ironie? Ce mécontentement est un fait : comment faire entendre à celui qui l’exprime qu’il a tort de n’être pas satisfait? Lui seul est juge de cette mauvaise humeur, et personne ne peut se mettre à son lieu et place, car lui seul a éprouvé ce qu’il exprime. Chacun dit ce