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toire, monotone, ennuyeux, la lecture suivie en est à peu près insoutenable ; mais il faut se rappeler que l’Arabie, n’ayant jamais eu aucune idée des arts plastiques ni des grandes beautés de composition, fait consister exclusivement la perfection dans le style. La langue est à ses yeux quelque chose de divin ; le don le plus précieux que Dieu ait fait à la race arabe, le signe le plus certain de sa prééminence, c’est la langue arabe elle-même, avec sa grammaire savante, sa richesse indéfinie, sa subtile délicatesse[1]. On ne peut douter que Mahomet n’ait dû ses principaux succès à l’originalité de son langage et au tour nouveau qu’il donnait à l’éloquence arabe. Les conversions les plus importantes, celle du poète Lebid par exemple, s’opèrent par la lecture de certains morceaux du Coran, et à ceux qui lui demandent un signe[2], Mahomet n’oppose d’autre réponse que la pureté parfaite de l’arabe qu’il parle et la fascination du style nouveau dont il avait le secret.

Ainsi l’islamisme résume, avec une unité dont on trouverait difficilement un autre exemple, l’ensemble des idées morales, religieuses, esthétiques, en un mot la vie selon l’esprit d’une grande famille de l’humanité. Il ne faut lui demander ni cette hauteur de spiritualité que l’Inde et la Germanie seules ont connue, ni cette eurhythmie, ce sentiment de la mesure et de la parfaite beauté que la Grèce a légué aux races néo-latines, ni ce don de fascination étrange, mystérieux, vraiment divin, qui a réuni toute l’humanité civilisée, sans distinction de race, dans la vénération d’un même idéal. Ce serait pousser outre mesure le panthéisme en esthétique que de mettre sur le pied d’égalité tous les produits de la nature humaine, et de placer au même degré de l’échelle de la beauté la pagode et le temple grec, parce qu’ils sont le résultat d’une conception également originale et spontanée. La nature humaine est toujours belle, il est vrai, mais non pas également belle. C’est toujours le même motif, les mêmes consonnances et dissonnances d’instincts terrestres et divins, mais non la même plénitude ni la même sonorité. L’islamisme est évidemment le produit d’une combinaison inférieure, et pour ainsi dire médiocre, des élémens humains. Voilà pourquoi il n’a été conquérant que dans une espèce d’état moyen de la nature humaine. Les races sauvages n’ont pu s’y élever, et d’un autre côté il n’a pu suffire aux peuples qui portaient en eux-mêmes le germe d’une plus forte civilisation. La Perse, le seul pays indo-européen où il soit arrivé à une domination absolue, ne l’a adopté qu’en

  1. Les Arabes se figurent que leur langue seule a une grammaire, et que tous les autres idiomes ne sont que des patois grossiers. Le scheick Rifaa, dans la relation de son voyage en France, se donne beaucoup de peine pour détruire ce préjugé de ses compatriotes, et leur apprendre que la langue française aussi possède des règles, des délicatesses et une académie.
  2. Le mot aiat, qui désigne les versets du Coran, veut dire signe ou miracle.