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lui dit-il, apprends une nouvelle : je suis musulman ; j’ai adopté la religion de Mahomet. » Djemil s’empressa de courir au parvis de la Caaba, où les Koreischites passaient le jour à converser ensemble. Il arriva en criant à tue-tête : « Le fils de Khattâb est perverti ! — Tu mens ! dit Omar qui le suivait de près ; je ne suis point perverti, je suis musulman. Je confesse qu’il n’y a d’autre Dieu qu’Allah, et que Mahomet est son prophète. » Ses provocations finirent par rendre furieux les idolâtres, qui se jetèrent sur lui. Omar soutint le choc, et, écartant les assaillans : « Par Dieu ! s’écriait-il, si nous étions seulement trois cents musulmans, nous verrions bien qui resterait maître de ce temple. » C’est ce même homme qui plus tard ne peut comprendre que l’on transige avec les infidèles, et qui, sortant le sabre à la main de la maison où il vient de voir expirer Mahomet, déclare qu’il abattra la tête de quiconque osera dire que le prophète a pu mourir.

Enfin, par sa merveilleuse entente de l’esthétique arabe, Mahomet se créa un moyen d’action tout-puissant sur un peuple infiniment sensible au charme du beau langage. Le Coran fut, en un sens, une révolution littéraire aussi bien qu’une révolution religieuse ; il signale chez les Arabes le passage du style versifié à la prose, de la poésie à l’éloquence, moment si important dans la vie intellectuelle d’un peuple. Au commencement du viie siècle, la grande génération poétique de l’Arabie s’en allait ; des traces de fatigue se manifestaient de toutes parts, les idées de critique littéraire apparaissaient comme un signe de mauvais augure pour le génie. Antar, cette nature d’Arabe si franche, si inaltérée, commence sa Moallakat presque comme ferait un poète latin de la décadence, par ces mots : Quel sujet les poètes n’ont-ils pas chanté ! Ce fut une immense impression, quand Mahomet parut dans ce milieu affadi avec ses vives et pressantes récitations. La première fois qu’Otba, fils de Rebia, entendit ce langage énergique, sonore, plein de rhythme, quoique non versifié, il retourna vers les siens tout ébahi. « Qu’y a-t-il donc ? lui demanda-t-on. — Ma foi ! répondit-il, Mahomet m’a tenu un langage tel que je n’en ai jamais entendu. Ce n’est ni de la poésie, ni de la prose, ni du langage magique, mais c’est quelque chose de pénétrant. » Mahomet n’aimait pas la prosodie si compliquée de la poésie arabe ; il faisait des fautes de quantité quand il citait des vers, et Dieu lui-même se chargea de l’en excuser dans le Coran : « Nous n’avons point appris la versification à notre prophète. » Il répète à tout propos qu’il n’est ni un poète ni un magicien ; le vulgaire, en effet, était sans cesse tenté de le confondre avec ces deux classes d’hommes, et il est vrai que son style rimé et sentencieux avait quelque ressemblance avec celui des magiciens. Certes, il nous est impossible aujourd’hui, en lisant le Coran, de comprendre le charme si puissant de cette éloquence. Ce livre nous semble déclama-