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pieds de la grace victorieuse. La légende de la conversion d’Omar est, sous ce rapport, une incomparable page de psychologie religieuse. — Omar avait été l’ennemi le plus acharné des musulmans. Les terribles emportemens de son caractère en avaient fait l’épouvantail des fidèles encore timides et réduits à se cacher. Un jour, dans un moment d’exaltation, il sortit avec l’intention arrêtée de tuer Mahomet. Il rencontre en chemin Noaym, un de ses parens, qui, le voyant ainsi le sabre au poing, lui demande où il va et ce qu’il prétend faire. Omar lui expose son dessein. « La passion t’emporte, lui dit Noaym. Que ne songes-tu plutôt à donner une correction aux personnes de ta famille qui ont abjuré à ton insu la religion de tes pères ? — Et ces personnes de ma famille, qui sont-elles ? dit Omar. — Ton beau-frère Saïd et ta sœur Fatima, reprit Noaym. » Omar vole à la maison de sa sœur. Saïd et Fatima recevaient en ce moment les instructions secrètes d’un disciple qui leur lisait un chapitre du Coran écrit sur un feuillet de parchemin. Au bruit des pas d’Omar, le catéchiste se cache dans un réduit obscur ; Fatima glisse le feuillet sous ses vêtemens. « Qu’est-ce que je vous ai entendu psalmodier à voix basse ? dit Omar en entrant. — Rien ; tu t’es trompé. — Vous lisiez quelque chose, et j’ai appris que vous êtes affiliés à la secte de Mahomet. » En disant ces mots, Omar s’élance sur son beau-frère. Fatima veut le couvrir de son corps, et tous deux s’écrient : « Oui, nous sommes musulmans. Nous croyons à Dieu et à son prophète. Massacre-nous, si tu veux. » Omar, frappant en aveugle, atteignit et blessa grièvement sa sœur Fatima. À la vue du sang d’une femme versé de sa main, l’impétueux jeune homme s’adoucit tout à coup. « Montrez-moi l’écrit que vous lisiez, dit-il avec un calme apparent. — Je crains, répond Fatima, que tu ne le déchires. » Omar jure de le rendre intact. À peine a-t-il lu les premières lignes : « Que cela est beau ! que cela est sublime ! s’écrie-t-il. Indiquez-moi où est le prophète ; je vais à l’instant me donner à lui. » Mahomet se trouvait en ce moment dans une maison située sur la colline de Safa avec une quarantaine de ses disciples, auxquels il expliquait ses doctrines. On frappe à la porte. Un des musulmans regarde par la fente : « C’est Omar, le sabre au côté, dit-il avec terreur. » La consternation fut générale. Mahomet ordonne que l’on ouvre ; il s’avance vers Omar, le prend par son manteau, et, l’attirant au milieu du cercle : « Quel motif t’amène, fils de Khattâb ? lui dit-il. Persisteras-tu dans ton impiété jusqu’à ce que le châtiment du ciel tombe sur toi ? — Je viens, répondit Omar, pour déclarer que je crois en Dieu et en son prophète. » Toute l’assemblée rendit grace au ciel de cette conversion inespérée.

En quittant les fidèles, Omar alla droit à la maison d’un certain Djemil, qui passait pour le plus grand bavard de la Mecque. « Djemil,