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prédication, accusé d’imposture et en butte aux railleries, il venait lui confier ses peines, elle le consolait par ses paroles de tendresse et raffermissait sa foi ébranlée. Aussi Khadidja ne fut-elle jamais confondue dans les souvenirs de Mahomet avec ses autres épouses. On raconte que l’une de celles qui lui succédèrent, jalouse de cette constance, ayant un jour demandé au prophète si Allah ne lui avait pas donné de quoi lui faire oublier la vieille Khadidja : « Non, répondit-il. Quand j’étais pauvre, elle m’a enrichi ; quand les autres m’accusaient de mensonge, elle crut en moi ; quand j’étais maudit par ma nation, elle me resta fidèle, et plus je souffris, plus elle m’aima. » Depuis, quand une de ses femmes voulait gagner ses bonnes graces, elle commençait par faire l’éloge de Khadidja.

La pierre de touche d’une religion, après ses femmes, ce sont ses martyrs. La persécution, en effet, est la première des voluptés religieuses ; il est si doux au cœur de l’homme de souffrir pour sa foi, que cet attrait suffit quelquefois à lui seul pour faire croire. C’est ce qu’a merveilleusement compris la conscience chrétienne en créant ces admirables légendes où tant de conversions s’opèrent par le charme du supplice. L’islamisme, quoiqu’il soit resté étranger à cette profondeur de sentiment, est aussi arrivé parfois, dans ses récits de martyre, à des traits de belle psychologie. L’esclave Belâl ne serait pas déplacé parmi les touchans héros de la Légende dorée. Aux yeux des musulmans, les véritables martyrs sont ceux qui sont tombés en combattant pour la vraie religion. Bien qu’il y ait là une confusion d’idées à laquelle nous ne pouvons nous prêter, la mort du soldat et celle du martyr correspondant chez nous à des sensations tout-à-fait différentes, le génie musulman est arrivé à entourer ses morts d’une assez haute poésie. C’est une belle et grande scène par exemple que celle des funérailles qui suivirent la bataille d’Ohod. « Enterrez-les sans laver leur sang, criait Mahomet ; ils paraîtront au jour de la résurrection avec leurs blessures saignantes qui exhaleront l’odeur du musc, et je témoignerai qu’ils ont péri martyrs de la foi. » Le porte-étendard Djafir a eu les deux mains coupées, et est tombé percé de quatre-vingt-dix blessures, toutes reçues par devant. Mahomet va porter cette nouvelle à sa veuve. Il prend sur ses genoux le jeune fils du martyr, et lui caresse la tête d’une manière qui fait tout comprendre à la mère : « Ses deux mains ont été coupées, dit-il, mais en échange Dieu lui a donné deux ailes d’émeraude, avec lesquelles il vole maintenant partout où il veut parmi les anges du paradis. »

Les conversions sont aussi, en général, disposées avec beaucoup d’art. Presque toutes sont conçues sur le thème de celle de saint Paul. Le persécuteur devient un apôtre : la victime, amenée au paroxysme de sa colère, reçoit le coup suprême qui l’étend tout de son long aux