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Il est ainsi dans la vie des races un premier et rapide éclair de conscience, moment divin, où, préparées par une lente évolution intérieure, elles arrivent à la lumière, produisent leur chef-d’œuvre, puis s’effacent, comme si ce grand effort eût épuisé leur fécondité.

Mahomet n’est pas plus le fondateur du monothéisme que de la civilisation et de la littérature chez les Arabes. Il résulte de faits nombreux, signalés pour la première fois par M. Caussin de Perceval, que Mahomet n’a fait que suivre, au lieu de le devancer, le mouvement religieux de son temps. Le monothéisme, le culte d’Allah suprême (Allah taâla) avait toujours été le fond de la religion arabe. La race sémitique n’a jamais conçu le gouvernement de l’univers autrement que comme une monarchie absolue. Sa théodicée n’a pas fait un progrès depuis le Livre de Job ; les grandeurs et les aberrations du polythéisme lui sont restées à jamais étrangères. Quelques broderies superstitieuses, qui variaient de tribu à tribu, avaient pourtant altéré, chez les Arabes, la pureté de la religion patriarcale, et, en face de religions plus fortement organisées, tous les esprits éclairés de l’Arabie aspiraient à un culte meilleur. Un peuple n’arrive guère à concevoir l’insuffisance de son système religieux que par ses rapports avec l’étranger, et les époques de création religieuse suivent toujours les époques de mélange entre les races. Or, au vie siècle, l’Arabie, restée jusque-là inaccessible, s’ouvre de toutes parts : Grecs, Syriens, Persans, Abyssins y pénètrent à la fois. Les Syriens y portent l’écriture ; les Abyssins et les Persans règnent tour à tour dans l’Yémen et le Bahreyn. Plusieurs tribus reconnaissaient la suzeraineté des empereurs grecs et recevaient d’eux un toparque. L’épisode le plus singulier peut-être de l’histoire antéislamique est celui du prince poète Imroulcays venant chercher un asile à Constantinople, nouant une intrigue amoureuse avec la fille de Justinien, la chantant en vers arabes et mourant empoisonné par les ordres secrets de la cour de Byzance. La diversité des religions entretenait également en Arabie un singulier mouvement d’idées. Des tribus entières avaient embrassé le judaïsme ; le christianisme comptait des églises considérables à Nedjran, dans les royaumes de Hira et de Ghassan. De tous côtés, on disputait de religion. Il nous est resté un curieux monument de ces controverses dans la dispute de Gregentius, évêque de Zhefar, contre le Juif Herban. Une sorte de tolérance vague et de syncrétisme de toutes les religions sémitiques finit par s’établir : les idées de Dieu unique, de paradis, de résurrection, de prophètes, de livres sacrés, s’insinuèrent peu à peu, même chez les tribus païennes. La Caaba devint le panthéon de tous les cultes ; quand Mahomet chassa les images de la maison sainte, au nombre des dieux expulsés était une vierge byzantine peinte sur une colonne, tenant son fils entre ses bras.