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occupé à exterminer les musulmans primitifs, les vrais pères de l’islamisme. Ali, le plus saint des hommes, le fils adoptif du prophète. Ali que Mahomet avait proclamé son vicaire, est impitoyablement égorgé. Hosein et Hasan, ses fils, que Mahomet a tenus sur ses genoux et couverts de ses baisers, sont égorgés. Ibn-Zobéir, le premier né des Mohadjir, qui reçut pour premier aliment la salive de l’apôtre de Dieu, est égorgé[1]. Les fidèles primitifs, serrés autour de la Caaba, y continuent encore la vie arabe, passant le jour à causer dans les parvis et à faire les tournées processionnelles autour de la pierre noire ; mais ils sont devenus complétement impuissans, et les Omeyyades ne les respectent que jusqu’au jour où ils se croient capables de les forcer dans leur sanctuaire. Ce fut un étrange scandale que ce dernier siége de la Mecque, où l’on vit les musulmans de Syrie mettre le feu aux voiles de la Caaba et la faire crouler sous les pierres de leurs balistes. On dit qu’à la première pierre lancée contre la maison sainte, le tonnerre se fit entendre ; les soldats de Syrie tremblèrent. « Allez toujours, leur dit leur chef, je connais le climat de ce pays, les orages y sont fréquens dans cette saison. » En même temps, il saisit les cordes de la baliste et les mit lui-même en mouvement.

Nous arrivons donc de toutes parts à ce résultat singulier : que le mouvement musulman s’est produit presque sans foi religieuse ; qu’à part le petit nombre des fidèles primitifs, Mahomet n’opéra réellement que peu de conviction en Arabie, et qu’il ne réussit jamais à abattre l’opposition représentée par le parti omeyyade. C’est ce parti qui, comprimé d’abord par l’énergie d’Omar, l’emporte définitivement après la mort de ce redoutable adversaire, et fait élire Othman ; c’est ce parti qui oppose à Ali une résistance invincible et finit par l’immoler à sa haine ; c’est ce parti enfin qui triomphe par l’avénement des Omeyyades et va égorger jusque dans la Caaba tout ce qui restait de la génération primitive et pure. De là aussi cette indécision où flottent jusqu’au xiie siècle tous les dogmes de la foi musulmane ; de là cette philosophie hardie, proclamant sans détour les droits indéfinis de la raison ; de là ces sectes sans nombre, confinant, par des nuances indiscernables, à l’infidélité la plus avouée : karmathes, fatimites, ismaéliens, dualistes, druses, haschischins, hernanites, zendiks, sectes secrètes à double entente, alliant le fanatisme à l’incrédulité, la licence à l’enthousiasme religieux, la hardiesse du libre penseur à la superstition de l’initié. Ce n’est réellement qu’au xiie siècle que l’islamisme a triomphé des élémens indisciplinés qui s’agitaient dans son sein par l’avénement de la théologie ascharite et l’extermination violente de la philosophie. Depuis cette époque, pas un doute ne s’est produit, pas une protestation

  1. Pour le tableau de cette curieuse époque, on peut consulter le beau mémoire de M. Quatremère sur la vie d’Ibn-Zobéir.