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Presque tous ces prophètes n’étaient du reste que des intrigans subalternes, entièrement dépourvus d’initiative religieuse. S’adressant à des tribus simples et beaucoup moins raffinées que les Mecquois, ils avaient à leur service quelques tours de prestidigitation, qu’ils donnaient comme preuve de leur mission divine. L’un d’eux, Moseilama, courait le pays en montrant une fiole à goulot étroit, dans laquelle il avait fait entrer un œuf au moyen d’un procédé qu’il avait appris d’un jongleur persan. Il récitait aussi des phrases rimées, qu’il donnait pour des versets d’un second Coran. Qui le croirait ? ce vil imposteur tint en échec durant plusieurs années toutes les forces musulmanes groupées autour d’Abou-Bekr et balança la destinée de Mahomet. Il trouva un rival redoutable dans la prophétesse Sedjah, qui avait réussi à grouper derrière elle une puissante armée de Témimites. Moseilama, pressé dans Hadjr, ne vit d’autre moyen de désarmer sa belle rivale que de lui proposer un tête-à-tête, qui fut accepté avec empressement. Le prophète et la prophétesse en sortirent mariés. Après trois jours donnés à l’hymen, Sedjah rentra dans son camp, où ses soldats s’empressèrent de la questionner sur les résultats de son entrevue avec Moseilama. « J’ai reconnu en lui, dit-elle, un véritable prophète, et je l’ai épousé. — Moseilama nous donne-t-il un cadeau de noces ? demandèrent les Témimites. — Il n’a point parlé de cela, répliqua Sedjah. — Ce serait une honte pour toi et pour nous, reprirent-ils, qu’il épousât notre prophétesse sans nous rien donner. Retourne vers lui, et réclame pour nous un cadeau. » Sedjah alla se présenter à la porte de Hadjr, et, la trouvant barricadée, elle fit appeler son époux, qui parut sur la muraille. Un héraut lui exposa la réclamation des Témimites. « Fort bien, répondit Moseilama, vous serez satisfaits. Je vous charge de publier la proclamation suivante : Moseilama, prophète de Dieu, accorde exemption aux Benou-Temim de la première et de la dernière des cinq prières que son confrère Mahomet leur a imposées. » Les Témimites prirent cette dispense au sérieux, et l’on prétend que, depuis lors, ils n’ont plus fait la prière de l’aurore ni celle de la nuit.

On peut juger par ces récits combien était peu profond le mouvement religieux chez les Arabes. Ce mouvement n’avait absolument rien de dogmatique en dehors d’un petit groupe très réduit. On raconte qu’après une victoire, Omar ordonna que chacun eût sa part au butin en proportion de la partie du Coran qu’il savait par cœur. Or, quand on en vint à l’épreuve, il se trouva que les plus braves d’entre les Bédouins n’en purent réciter tout juste que la formule initiale : Au nom de Dieu clément et miséricordieux, ce qui fit beaucoup rire les assistans. Ces natures fortes et simples n’entendaient rien à la mysticité. D’un autre côté, la foi musulmane avait trouvé dans les familles riches et fières de la Mecque un centre de résistance dont elle ne put triompher entièrement. Abou-Sofyan, le chef de cette opposition, ne prit