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deux hauberts et portait sur la tête un casque à visière qui lui recouvrait la figure. À la déroute d’Ohod, sa tenue est on ne peut plus messéante à un envoyé de Dieu : renversé dans un fossé, il ne dut la vie qu’au dévouement des Ansâr, qui le couvrirent de leur corps, et il se releva tout souillé de sang et de boue. Son extrême circonspection perce à chaque pas. Il écoutait volontiers les avis et y montrait beaucoup de déférence. Souvent même on le voit céder à la pression de l’opinion publique et se laisser entraîner à des démarches que sa prudence réprouvait. Ses disciples, ayant une idée beaucoup plus haute que lui de ses dons prophétiques et croyant en lui beaucoup plus que lui-même, ne comprenaient rien à ces hésitations et à ces ménagemens.

Toute l’énergie qui fut déployée dans la fondation de la religion nouvelle appartient à Omar. Omar est vraiment le saint Paul de l’islamisme, le glaive qui tranche et décide. On ne peut douter que le caractère indécis de Mahomet n’eût compromis son œuvre sans l’adjonction de cet impétueux disciple, toujours prêt à tirer le sabre contre ceux qui n’admettaient pas sans examen la religion qu’il avait d’abord persécutée. La conversion d’Omar fut le moment décisif dans le progrès de l’islamisme. Jusque-là les musulmans s’étaient cachés pour pratiquer leur religion et n’avaient osé confesser leur foi en public. L’audace d’Omar, son ostentation à s’avouer musulman, la terreur qu’il inspirait leur donna la confiance de paraître au grand jour. Il ne semble pas que Mahomet ait rien vu au-delà de l’horizon de l’Arabie, ni qu’il ait songé que sa religion pût convenir à d’autres qu’aux Arabes. Le principe conquérant de l’islamisme, cette pensée que le monde doit devenir musulman, est une pensée d’Omar. C’est lui qui, après la mort de Mahomet, gouvernant en réalité sous le nom du faible Abou-Bekr, au moment où l’œuvre du prophète à peine ébauchée va se disloquer, arrête la défection des tribus arabes et donne à la religion nouvelle son dernier caractère de fixité. Si la chaleur d’un tempérament impétueux s’attachant avec frénésie à un dogme, afin de pouvoir haïr à son aise, doit s’appeler foi, Omar a réellement été le plus énergique des croyans. Jamais on n’a cru avec plus de rage, jamais on n’a dépensé plus de colère au nom de l’indubitable. Le besoin de haine amène souvent à la foi les caractères entiers et sans nuances, car la foi absolue est le plus puissant prétexte de haine, celui auquel on s’abandonne avec le plus de sécurité de conscience.

Le rôle de prophète a toujours ses épines, et, en face de compatriotes aussi disposés à le trouver en défaut, Mahomet ne pouvait manquer d’avoir à traverser des momens difficiles. Il s’en tirait en général avec beaucoup d’habileté, évitant d’exagérer son rôle et craignant toujours de s’aventurer trop loin. Il pouvait paraître surprenant qu’un envoyé de Dieu essuyât des défaites, vît ses prévisions déjouées, remportât des