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Les élémens légendaires de l’origine de l’islamisme sont toujours ainsi restés à l’état de tradition sporadique et sans autorité. Au lieu d’un être surhumain suspendu entre ciel et terre, sans père ni frère ici-bas, nous n’avons qu’un Arabe entaché de tous les défauts du caractère de sa nation. Au lieu de cette haute et inaccessible rigueur de supernaturalisme : « Femme, qu’y a-t-il entre vous et moi ? — ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la pratiquent, » — nous avons ici toutes les aimables faiblesses de l’humanité. À la bataille d’Autas, une captive que des musulmans entraînaient avec rudesse s’écria : « Respectez-moi, je tiens de près à votre chef. » On la conduisit à Mahomet. « Prophète de Dieu, lui dit-elle, je suis ta sœur de lait ; je suis Schaymâ, fille de Halîma, ta nourrice, de la tribu des Benou-Sâd. — Quelle preuve me donneras-tu de cela ? demanda Mahomet. — Une morsure que tu me fis à l’épaule, répondit-elle, un jour que je te portais sur mon dos. » Et elle montra la cicatrice. Cette vue, rappelant à Mahomet le souvenir de sa première enfance et des soins qu’il avait reçus dans une pauvre famille de Bédouins, l’émut d’attendrissement. Quelques larmes mouillèrent ses yeux. « Oui, tu es ma sœur, » dit-il à Schaymâ ; et, se dépouillant de son manteau, il la fit asseoir dessus. Puis il reprit : « Si tu veux rester désormais près de moi, tu vivras tranquille et honorée parmi les miens ; si tu aimes mieux retourner dans ta tribu, je te mettrai en état d’y passer tes jours dans l’aisance. » Schaymâ témoigna qu’elle préférait le séjour du désert, et Mahomet la renvoya comblée de ses dons.

Rien n’est dissimulé de ses faiblesses et ses humbles côtés. Il commence par être commis-voyageur en Syrie, où il fait de bonnes affaires. Aucun signe extraordinaire ne le distingue, il a son surnom comme un autre : on l’appelle el Amîn, l’homme sûr. Dans sa première jeunesse, il se bat avec les Koreischites contre les Hawazin, et les Koreischites n’en sont pas moins taillés en pièces. Dans une course, sa chamelle est distancée par celle d’un Bédouin, et il en éprouve un vif dépit. L’Arabie ne s’est pas crue obligée, pour exalter son prophète, de l’élever au-dessus de l’humanité et de le soustraire aux affections de tribu, de famille, à d’autres plus humbles encore. Les historiens musulmans nous racontent qu’il aimait son cheval et sa chamelle, qu’il essuyait leur sueur avec sa manche. Quand sa chatte avait faim ou soif, il se levait pour lui ouvrir, et il soignait attentivement un vieux coq qu’il gardait chez lui pour se préserver du mauvais œil. Dans son intérieur, il nous apparaît comme le plus honnête père de famille. Souvent, prenant par la main Hasan et Hosein, nés du mariage d’Ali et de sa fille Fatima, il les faisait sauter et danser, en leur répétant des paroles enfantines qui ont été conservées[1]. Quand il les apercevait, au beau milieu d’une

  1. Je n’ai pas besoin d’avertir que je suis loin d’attacher à ces récits une valeur his-