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voix qui disait : « En avant, Hayzoum ! » (C’est le nom du cheval de l’ange Gabriel.) Un musulman raconta que, poursuivant un Mecquois le sabre à la main, il avait vu la tête du fuyard tomber à terre, sans que son sabre l’eût atteint. Il en conclut que la main d’un envoyé céleste avait prévenu la sienne. D’autres affirmaient avoir distingué clairement les anges à leurs turbans blancs, dont un bout flottait sur les épaules, tandis que Gabriel, leur chef, avait le front ceint d’un turban jaune. Quand on sait l’état d’excitation où se mettent les Arabes avant et durant la bataille, et quand l’on songe que cette journée fut le premier élan de l’enthousiasme musulman, bien loin de s’étonner que ces récits aient trouvé créance, on est surpris que le cerveau des combattans de Bedr n’ait enfanté que d’aussi sobres merveilles.

À une époque beaucoup plus moderne et sous l’influence du génie persan, si radicalement opposé au génie arabe, la légende de Mahomet s’est compliquée, je le sais, de circonstances merveilleuses qui la rapprochent beaucoup des grandes légendes mythologiques de la Haute-Asie. La Perse, quoique domptée par l’islamisme, ne plia jamais sous l’esprit sémitique. En dépit de la langue et de la religion qui lui étaient imposées, elle sut revendiquer ses droits de nation indo-européenne en se créant une philosophie, une épopée, une mythologie. Ouvrez le Hyat-ul-Koloub, recueil de traditions schiites : vous y verrez que, la nuit où naquit le prophète, soixante-dix mille palais de rubis et soixante-dix mille palais de perles furent bâtis dans le paradis, et furent appelés les palais de la naissance. Il naît tout circoncis : des sages-femmes d’une beauté extraordinaire sont présentes, sans avoir été prévenues. Une lumière, dont l’éclat resplendit dans toute l’Arabie, sort avec lui du sein de sa mère. Aussitôt né, il se jette à genoux, élève son regard au ciel, et s’écrie : « Dieu seul est Dieu, et je suis son prophète ! » Dieu revêt son apôtre de la chemise du divin contentement et de la robe de la sainteté rattachée par la ceinture de l’amour de Dieu. Il chausse les sandales de la respectueuse terreur, ceint la couronne de la préséance, et prend en main la baguette de l’autorité religieuse. À trois ans, deux anges lui ouvrent le côté, lui enlèvent le cœur, en expriment les gouttes noires du péché, et y mettent la lumière prophétique. Mahomet voyait derrière comme devant ; sa salive rendait douce l’eau de mer ; ses gouttes de sueur étaient comme des perles. Son corps ne projetait d’ombre ni au soleil ni au clair de lune ; aucun insecte n’approchait de sa personne. — Rien d’arabe dans ce style insipide, et ceux-là ont complétement méconnu le caractère de la légende de Mahomet qui l’ont cherché dans ces grotesques récits, tout empreints du goût persan. Ces ridicules imaginations ne préjudicient pas plus à la pureté de la légende arabe primitive que les fades amplifications des Évangiles apocryphes ne nuisent à l’incomparable beauté des canoniques.