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notre chef, et nous ne prendrons aucune résolution sans ton avis. Si l’esprit qui t’apparaît s’attache à toi et te domine de manière que tu ne puisses te soustraire à son influence, nous ferons venir des médecins habiles, et nous les paierons pour qu’ils te guérissent. — Je ne suis ni avide de biens, ni ambitieux de dignités, ni possédé du malin esprit, répondit Mahomet. Je suis envoyé par Allah, qui m’a révélé un livre et m’a ordonné de vous annoncer les récompenses ou les châtimens qui vous attendent. — Eh bien ! Mahomet, lui dirent les koreischites, puisque tu n’agrées pas nos propositions, et que tu persistes à te prétendre envoyé d’Allah, donne-nous des preuves évidentes de ta qualité. Notre vallée est étroite et stérile ; obtiens de Dieu qu’il l’élargisse, qu’il éloigne l’une de l’autre ces chaînes de montagnes qui la resserrent, qu’il y fasse couler des fleuves pareils aux fleuves de la Syrie ou de l’Irak, ou bien qu’il fasse sortir du tombeau quelques-uns de nos ancêtres, et parmi eux Cossay, fils de Kilâb, cet homme dont la parole avait tant d’autorité ; que ces illustres morts ressuscités te reconnaissent pour prophète, et nous te reconnaîtrons aussi. — Dieu, répondit Mahomet, ne m’a pas envoyé vers vous pour cela : il m’a envoyé seulement pour prêcher sa loi. — Au moins, reprirent les koreischites, demande à ton seigneur qu’il fasse paraître un de ses anges pour témoigner de ta véracité et nous ordonner de te croire. Demande-lui aussi qu’il montre ostensiblement le choix qu’il a fait de toi, en te dispensant du besoin de chercher ta subsistance journalière dans les marchés, comme le moindre de tes compatriotes. — Non, dit Mahomet, je ne lui adresserai pas ces demandes : mon devoir est seulement de vous prêcher. — Eh bien ! que ton seigneur fasse donc tomber le ciel sur nous, comme tu prétends qu’il est capable de le faire, car nous ne te croirons pas ! »

On le voit, un bouddha, un fils de Dieu, un thaumaturge de haute volée étaient au-dessus du tempérament de ce peuple. L’extrême finesse de l’esprit arabe, la manière franche et nette dont il se pose dans le réel, le libertinage de mœurs et de croyances qui régnait à l’époque de l’islamisme, interdisaient ces grands airs au nouveau prophète. L’Arabie manque complétement de l’élément qui engendre le mysticisme[1] et la mythologie. Les nations sémitiques n’ont jamais compris en Dieu la variété, la pluralité, le sexe : le mot déesse serait en hébreu le plus horrible barbarisme. De là ce trait si caractéristique, qu’elles n’ont jamais eu ni mythologie ni épopée. La façon nette et

  1. Si l’on m’objecte la tendance générale de la philosophie orientale au mysticisme, je ferai observer que ce n’est que par abus que l’on applique le nom de philosophie arabe à une philosophie qui n’a jamais eu de racines dans la péninsule arabique, et dont l’apparition a été une réaction de l’esprit persan contre l’esprit arabe. Cette philosophie a été écrite en arabe, voilà tout ; elle est toute persane d’esprit.