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réduites, les procédés par lesquels se sont formées les grandes créations des époques irréfléchies.

La naissance de l’islamisme est, sous ce rapport, un fait unique et véritablement inappréciable. L’islamisme a été la dernière création religieuse de l’humanité et, à beaucoup d’égards, la moins originale. Au lieu de ce mystère sous lequel les autres religions enveloppent leurs origines, celle-ci naît en pleine histoire ; ses racines sont à fleur de sol. La vie de son fondateur nous est aussi bien connue que celle de tel réformateur du xvie siècle. Nous pouvons suivre année par année les fluctuations de sa pensée, ses contradictions, ses faiblesses. Ailleurs, les origines religieuses se perdent dans le rêve ; le travail de la critique la plus déliée suffit à peine pour discerner le réel sous les apparences trompeuses du mythe et de la légende. L’islamisme au contraire, né au milieu d’une réflexion très avancée, manque absolument de surnaturel. Mahomet, Omar, Ali ne sont ni des voyans ni des illuminés, ni des thaumaturges. Chacun d’eux sait très bien ce qu’il fait, nul n’est dupe de lui-même ; chacun s’offre à l’analyse à nu et avec toutes les faiblesses de l’humanité.

Grace aux excellens travaux de MM. Weil et Caussin de Perceval, on peut dire sans exagération que le problème des origines de l’islamisme est définitivement arrivé de nos jours à une solution complète et sans mystère. M. Caussin de Perceval surtout a introduit dans la question un élément capital par les vues nouvelles qu’il a ouvertes sur les antécédens et les précurseurs de Mahomet, sujet délicat qui n’avait point été aperçu avant lui. Son excellent ouvrage restera comme un modèle de cette érudition forte et sobre, qui pourrait s’appeler école française, si le bon sens, l’exactitude, la solidité suffisaient pour faire une école. La finesse et la pénétration de M. Weil sont dignes d’un compatriote de Creuzer et de Strauss. Sous le rapport du choix et de la richesse des sources, son ouvrage est pourtant inférieur à celui de notre savant compatriote, et on pourrait peut-être lui reprocher d’accorder trop de confiance à des autorités turques et persanes, qui n’ont dans cette question que bien peu de valeur. L’Amérique et l’Angleterre se sont aussi beaucoup occupées de Mahomet. Un romancier fort connu, M. Washington Irving, a raconté sa vie avec intérêt, mais sans faire preuve d’une critique fort élevée. Son livre atteste pourtant sous ce rapport un véritable progrès, quand on songe qu’en 1829 M. Charles Forster publiait deux gros volumes fort goûtés des révérends[1], pour

  1. Mahometism unveiled : an inquiry in which that arch-heresy, its diffusion and continuance, are examined on a new principle, tending to confirm the evidences, and aid the propagation of the Christian Faith. C’est le même M. Charles Forster qui vient d’égayer la presse savante d’une si amusante mystification sur les inscriptions sinaïtiques, où il trouve la langue et l’écriture primitives, le texte primitif de l’Exode, etc.