Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/1070

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un instant. Il est indubitable encore qu’à un certain jour, par l’expansion naturelle et spontanée de ses facultés, l’homme a improvisé le langage, — et pourtant aucune image empruntée à l’état actuel de l’esprit humain ne peut nous aider à concevoir ce fait étrange, devenu entièrement impossible dans notre milieu réfléchi. Il faut de même renoncer à expliquer par les procédés vulgaires accessibles à notre expérience les faits primitifs des religions, faits qui n’ont plus d’analogues depuis que l’humanité a perdu sa fécondité religieuse. En face de l’impuissance de la raison réfléchie à fonder la croyance et à la discipliner, comment ne reconnaîtrions-nous pas la force cachée qui à certains momens pénètre et vivifie les entrailles de l’humanité ? L’hypothèse supernaturaliste offre peut-être moins de difficultés que les solutions superficielles de ceux qui abordent ces redoutables problèmes sans avoir pénétré les mystères de la conscience spontanée ; et si, pour rejeter cette hypothèse, il fallait être arrivé à une opinion rationnelle sur ces faits vraiment divins, bien peu d’hommes auraient le droit de ne pas croire au surnaturel.

Serait-il vrai pourtant que la science dût renoncer à expliquer la formation du globe, parce que les phénomènes qui l’ont amené à l’état où nous le voyons ne se reproduisent plus de nos jours sur une grande échelle ? qu’elle dût renoncer à expliquer l’apparition de la vie et des espèces vivantes, parce que la période contemporaine a cessé d’être créatrice ? à expliquer l’origine du langage, parce qu’il ne se crée plus de langues ? l’origine des religions, parce qu’il ne se crée plus de religions ? Non, certes. C’est l’œuvre infiniment délicate de la science et de la critique de deviner le primitif par les faibles traces qu’il a laissées de lui-même. La réflexion ne nous a pas tellement éloignés de l’âge créateur que l’on ne puisse, à force de finesse, reproduire en soi le sentiment de la vie spontanée. L’histoire, si avare qu’elle soit pour les époques non conscientes, n’est pourtant pas entièrement muette ; elle nous permet, sinon d’aborder directement le problème, au moins de le resserrer par le dehors. Puis, comme rien n’est absolu dans les choses humaines et qu’il n’est pas deux faits dans le passé qui rentrent à la rigueur dans la même catégorie, nous avons des nuances intermédiaires et plus rapprochées de nous pour nous représenter les phénomènes inaccessibles à l’étude immédiate. Le géologue trouve dans les lentes dégradations de l’état actuel du globe des données pour expliquer les révolutions antérieures. Le linguiste, en assistant au phénomène incessamment continué du développement des langues, est amené à concevoir les lois qui en ont réglé la formation. L’historien, à défaut des faits primitifs qui ont signalé les apparitions religieuses, peut atteindre des dégénérescences, des tentatives avortées, des demi-religions, si j’ose le dire, montrant à découvert, quoique dans des proportions plus