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qui lui sont nécessaires pour la route, souvent fort longue. Les femmes et les enfans marchent en liberté. La fatigue et la nostalgie font périr un grand nombre de ces pauvres gens. Pendant les premiers jours qui suivent leur arrivée à la factorerie, on leur accorde du repos avant leur embarquement; mais vainement les traitans s’efforcent-ils de prévenir chez les noirs captifs les atteintes de marasme et de tristesse qui les font périr en grand nombre. « pour y réussir, dit M. le capitaine de vaisseau Bouet-Willaumez, ils les font sortir deux fois par jour des barracons et les contraignent à s’asseoir en rond, mais enchaînés, au milieu de la cour de la factorerie; des barraconniers les accompagnent et les placent en ordre et serrés côte à côte; l’un de ces satellites noirs, armé d’un fouet, entonne un chant africain et frappe des mains en mesure : malheur à l’esclave qui ne l’imite pas! Le fouet plane au-dessus des têtes et imprime par la terreur un mouvement énergique de joie, de rires, de chants et de battemens de mains à ce vaste cercle de chair humaine; un autre barraconnier se barbouille de blanc ou de jaune et tâche d’exciter les rires par ses danses et ses contorsions.... »

La famine est aussi un fléau qui fait d’affreux ravages parmi les victimes de la traite. Les approvisionnemens ne sont pas toujours suffisans dans les factoreries, soit pour le nombre des esclaves qui y sont reçus, soit pour le temps qu’ils y passent. Les populations des côtes d’Afrique, démoralisées par la traite, ont si peu d’industrie et tant d’imprévoyance, que la fertilité extrême du sol ne leur est d’aucune utilité. Les travaux pénibles de l’agriculture les rebutent et les effraient; les gains faciles du trafic des esclaves ont pour eux au contraire un attrait véritable. Aussi la disette n’est-elle pas rare au sein des tribus : c’est une maladie endémique et qui reparaît périodiquement. Quand les peuplades libres n’ont pas de vivres pour leur propre consommation, à plus forte raison les esclaves sont-ils exposés aux privations les plus longues et les plus cruelles. « J’ai été témoin, dit encore l’officier français dont nous avons déjà cité l’intéressant travail, des ravages d’une maladie causée par les tortures de la faim sur une réunion de près de quatre cents esclaves, dont le plus grand nombre avait les fonctions digestives profondément altérées. Chez la plupart, elle avait fait naître une grande dépravation dans le goût, et, chez quelques-uns, des instincts d’une cruauté féroce. Ainsi, lorsque nous eûmes délivré ces malheureux des mains de leurs geôliers, les uns préféraient les alimens à demi putréfiés au pain et au riz de bonne qualité; d’autres cachaient leur viande, et la dévoraient avec avidité quelques jours après, fétide et corrompue; celui-ci, que tourmentait un appétit vorace, insatiable, tentait d’étrangler son voisin pour manger sa ration. Je fus même averti, par le médecin surveillant de ces malheureux, qu’une jeune fille s’était nuitamment précipitée sur le flanc d’une de