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n’ignorent pas que, s’ils se laissent faire captifs, ils seront sacrifiés, et que leurs cadavres engraisseront les vautours et les loups. »

Ce langage si hautain convenait à Guezo, roi guerrier et conquérant. Pourtant, s’il est vrai de dire que les rapports de la servilité la plus abjecte d’une part et du despotisme le plus absolu de l’autre sont établis entre les sujets du roi de Dahomey et leur souverain, le pouvoir de ces chefs barbares n’en est pas mieux affermi pour cela. Le prédécesseur de Guezo a été déposé par l’armée, et Guezo lui-même n’est au fond que l’instrument de la volonté de ses troupes. La vérité est que, dans ce pays, nul n’est assuré pour vingt-quatre heures, non-seulement de garder sa place, mais de conserver sa tête. Il n’y a pas d’exception, même en faveur du roi, à cette loi barbare.

L’armée du Dahomey est unique dans le monde, car elle est composée mi-partie d’hommes et de femmes. Les voyageurs calculent différemment l’effectif de ces troupes. M. Winnietts le porte à environ vingt mille soldats, puisqu’il a compté huit mille amazones, et qu’à son avis, le nombre des hommes, dans cette réunion bizarre de guerriers des deux sexes, est plus grand que celui des femmes. M. Forbes. au contraire, croit que les troupes permanentes ne dépassent pas le chiffre de douze mille soldats, dont cinq mille femmes. A l’époque des expéditions annuelles, il est certain que les cadres de l’armée s’élargissent considérablement. Le roi fait alors une levée extraordinaire qui double au moins le nombre de ses troupes sur le pied de paix. En outre, l’armée, dans sa marche, est accompagnée d’une multitude de porteurs, de marchands, d’esclaves et de serviteurs de tout genre, de sorte que Guezo entraîne à sa suite une population de près de cinquante mille individus. Il vaudrait mieux dire qu’il la pousse devant lui, car l’usage du pays est que le roi, entouré de ses ministres et des Principaux personnages de son royaume, s’arrête à une assez grande distance du lieu du combat.

Les amazones sont l’élite de l’armée et donnent l’exemple de l’intrépidité. Il ne faudrait pas supposer, d’ailleurs, que le rapprochement des deux sexes imprime à l’armée du Dahomey un caractère particulier d’immoralité. Les imaginations vives pourraient se hâter de se représenter l’immense orgie d’un camp occupé par douze mille hommes et huit mille femmes; elles en seraient pour leurs frais d’invention. Les troupes du roi Guezo sont déjà bien assez désordonnées et bien assez barbares, et ce n’est pas les innocenter beaucoup que de les exempter de cette souillure. La chasteté des amazones du Dahomey est plus intacte encore que n’était celle des belliqueuses sujettes de Penthésilée et de Thomiris, car celles-ci avaient, pour se perpétuer, un commerce passager avec les habitans des pays voisins. Les amazones