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tellement enchevêtrées et embrouillées, qu’une liquidation leur est impossible. Une fois engagés dans cette funeste partie qu’ils soutiennent contre la morale, l’humanité et la loi, ils y persistent forcément. Whydah est le quartier-général des plus riches traitans de la côte. C’est là que le prince des négriers, M. de Souza, avait son palais, son harem, un peuple d’esclaves et une grande étendue de territoire. Ce célèbre traitant, qui est mort récemment, était un réfugié brésilien. Coupable de quelque délit politique, il s’était trouvé dans la nécessité de choisir entre la prison et l’exil. Pendant quarante années, il a continué, de compte à demi avec le roi de Dahomey, le trafic des esclaves, et il y a d’abord acquis une fortune considérable. M. Monléon, qui fut son hôte en 1844, écrivait que ses dîners étaient des festins de Balthazar, recherchés et servis avec un très grand luxe. Sa vaisselle et tous les meubles qui garnissaient sa chambre à coucher étaient en argent massif; mais le prudent vieillard avait soin de dissimuler cette opulence, car il connaissait trop bien la cupidité peu scrupuleuse des chefs africains pour les exposer à une tentation trop forte. Comme les Juifs au moyen-âge, comme beaucoup d’Orientaux dans les pays soumis au despotisme musulman, M. de Souza cachait ses richesses derrière les murailles d’une habitation de sordide apparence. Le commandant Forbes nous apprend que le palais des Souza, — le grand négrier a fondé une dynastie, — est un vaste édifice mal bâti, qui est environné de fumier et de débris de toute sorte en pleine décomposition. « On m’avait représenté, dit-il, la demeure de ce traitant comme la splendide habitation d’un prince entouré de toutes les jouissances du luxe : si la fange et les ordures sont un luxe, le palais des Souza est un véritable paradis. »

Ce traitant avait jugé nécessaire de prendre aussi des précautions d’un autre genre. Il craignait les maladies que les excès de table engendrent dans ce climat; il craignait plus encore peut-être le poison, qui est un moyen de gouvernement fort à la mode dans les contrées où règnent les despotes africains. Aussi, malgré la profusion des mets qui couvraient sa table, ne s’est-il jamais écarté un instant d’une sobriété rigoureuse et défiante à l’extrême. Sa maison était servie par des femmes, dont six, exclusivement attachées à sa personne, goûtaient tous ses alimens avant de les lui offrir. Cet usage est d’ailleurs généralement adopté en Afrique. Les vivres que M. de Souza emportait en voyage étaient renfermés dans des caisses dont il gardait les clés; mais sa continence n’égalait pas sa sobriété, car ce vieillard, élevé dans les principes du christianisme, n’avait pas honte d’entretenir un sérail de quatre cents femmes.

Cet homme singulier a contribué, par la nature de son commerce, à faire périr des milliers de ses semblables, et pourtant il montrait,