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procès-verbaux d’un comité d’enquête parlementaire; M. Cruishank, dont la déposition est rapportée dans le même recueil; M. Duncan, qui, nommé consul britannique près du roi de Dahomey, a envoyé à son gouvernement de nombreux renseignemens, publiés en partie dans le recueil annuel de la correspondance relative à la traite des noirs. M. Duncan était mort de la dyssenterie. Les deux autres envoyés avaient échoué dans leur mission. M. Forbes ne fut pas plus heureux ; mais on lui doit un récit de son voyage. Les mœurs du pays sont tellement extraordinaires, que cette publication d’un officier de marine plus habile dans sa profession que dans l’art d’écrire a excité le plus vif intérêt en Angleterre. Cet intérêt était bien justifié. M. Forbes a tort seulement de croire qu’il a été le premier à décrire les mœurs et les usages du Dahomey. Un voyageur français, M. Bruë, dans un recueil spécial imprimé par les soins du département de la marine et des colonies, a publié en 1844 le récit très circonstancié et fort curieux d’une visite qu’il avait faite l’année précédente au roi de ce pays. Les récits de l’officier anglais et du voyageur français diffèrent sous quelques rapports; mais il est facile, en les contrôlant l’un par l’autre, d’arriver à la découverte de la vérité, surtout pour peu qu’on se rende compte des mobiles différens dont s’inspirent les deux relations. — M. Forbes est un militaire peu soucieux, quoique Anglais, de subordonner aux intérêts du commerce le triomphe de la politique britannique, si bien enveloppée du voile de la philanthropie. M. Bruë, au contraire, homme intelligent et conciliant, était un agent commercial désireux de faire les affaires de sa maison, et disposé à voir d’un œil indulgent les institutions d’un état dont il avait à ménager le souverain. En essayant de décrire d’après ces deux voyageurs le pays qu’ils ont parcouru, il est bon de noter et de ne pas oublier cette première différence.

Le roi du Dahomey a deux capitales, la ville africaine, Abomey, située dans l’intérieur des terres, la ville européenne, Whydah, placée sur la côte. L’une est la cité d’où partent les razzias, l’autre est la ville où se consomment l’achat et la vente des prisonniers. Le récit de M. Forbes s’ouvre par une description de Whydah. Ici déjà nous trouvons l’occasion de le compléter par une relation française. Le capitaine de vaisseau Monléon, dans un rapport adressé au ministre de la marine, disait en 1844 : « A Whydah, les trafiquans d’esclaves sont comme des joueurs à la bourse; il sera bien difficile de leur faire quitter la place. » Ces paroles prouvent bien que la traite est un jeu où les négriers apportent non-seulement l’avidité du gain, mais la passion du jeu même. Depuis quelques années, les chances de cette partie sont très incertaines; les pertes énormes, les profits considérables s’y succèdent et s’y mêlent : aussi les affaires des traitans sont