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leur forme première. C’est comme l’architecture de la cathédrale de la Havane, mélange de gothique, de mauresque et de mexicain primitif, avec des imitations naïves de la nature transatlantique. « Sur les découpures africaines et du moyen-âge, dit Mme Merlin, on voit se grouper des fruits entrelacés par des lianes et des guirlandes de fleurs, puis des imitations de feuilles de papayer larges et lustrées comme de légers rubans, se tortillant avec souplesse autour de colonnes sans base couronnées de panaches exubérans en corolles d’ananas. » Voilà une image de la société et de la littérature cubanaises.

Maintenant, qu’adviendra-t-il de cette reine de l’archipel des Antilles dans un temps donné, d’ici à un siècle ou un demi- siècle ? A une question ainsi posée, il serait évidemment difficile de répondre autrement que par des conjectures. Probablement Cuba est destinée à avoir sa place dans ce mouvement de transformation qui emporte les autres sociétés américaines. Les mêmes difficultés, les mêmes problèmes s’y agitent, quoique dans des conditions différentes, résultant, soit de la position insulaire de la possession espagnole, soit du régime politique sous lequel elle continue à vivre; mais à quel titre, dans quelle mesure et comment Cuba prendra-t-elle sa place dans ce mouvement? Est-ce par l’annexion aux États-Unis? Est-ce, par une façon d’indépendance à l’imitation des autres républiques de l’Amérique du Sud? Peut-être est-ce le rêve de plus d’une jeune tête cubanaise? Bien que les tentatives récentes n’aient trouvé aucun appui dans la masse de la population, les idées qui les ont produites ont cependant leurs prosélytes silencieux et dévoués. Il suffit de rapprocher ces idées de la réalité pour voir de quelles déceptions elles seraient la source. Supposez, par l’annexion, deux races perpétuellement en contact, — l’une rude et vigoureuse, douée d’un esprit d’envahissement sans limites, puissante par la volonté, par le génie du travail et de l’industrie, — l’autre aimable et peu faite aux dures conditions de la lutte, pleine d’instincts raffinés et gâtée par la vie oisive : laquelle de ces deux races opprimera l’autre? Les Anglo-Américains lanceront leurs émigrans sur cette riche proie que leur livrera l’annexion. Il se formera dans la contrée envahie une population nouvelle qui submergera, dominera, étouffera l’ancienne, en faisant prévaloir son génie et ses mœurs, ses qualités et ses vices. Cuba prendra rang à côté du Texas. — Supposez, d’un autre côté, un système quelconque d’indépendance s’établissant à Cuba et rompant les liens qui rattachent la colonie à la métropole, la société cubanaise se verra aussitôt en présence de la race noire, plus nombreuse, surexcitée et prête à faire peser sur elle le poids séculaire de ses vengeances et de son ignorance. Haïti est l’exemple de cette sanglante suprématie nègre, de telle sorte qu’il ne resterait à la société cubanaise que cette double alternative : — d’être dévorée et absorbée par la race