Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/1020

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mansfield, avec qui d’ailleurs il n’était pas sans relations ; on suppose que l’habile magistrat avait été à la fois son conseiller et le conseiller du gouvernement dans les poursuites intentées contre lui. Le fait certain, c’est qu’à la séance du 6 décembre 1770, où une enquête fut demandée sur l’administration de la justice criminelle, lord George, dans un discours plein d’une amère ironie, appuya la motion en feignant d’épouser les intérêts de lord Mansfield, contre qui elle était dirigée, et Junius, dans sa lettre du 13 suivant, triomphe du résultat de cette séance ; il insiste sur ce qu’elle a de cruel pour le juge inculpé. « Sache la postérité, dit-il, que lorsqu’il était attaqué avec tant de véhémence, pas un ministre n’a dit un mot pour le défendre. »

Enfin on ne peut omettre un fait assez remarquable. En 1774, Woodfall fut mis à l’amende par la chambre des communes pour lui avoir manqué de respect en publiant indûment ses débats, et quand une pétition fut présentée en son nom pour implorer la clémence de la chambre et la remise de la peine, le seul orateur qui se leva pour la soutenir fut lord George Sackville ; mais ce fait appartient à sa vie ultérieure, dont il faut aussi dire quelques mots.

Peu après que le Public Advertiser cessa de recevoir les communications de Junius, la question américaine prit une importance capitale et devint le sujet des plus grands débats et le thème favori de l’opposition. Or, ainsi que Junius, on sait que lord George ne pensait pas comme l’opposition, comme celle du moins de Chatham et de Camden, de Rockingham et de Shelburne, d’Edmond Burke et du colonel Barré. Il demeura fidèle à la politique de Grenville, et maint discours dans les recueils parlementaires atteste cette fidélité. L’autorité et la vivacité qu’il portait dans ce débat ne pouvaient manquer de le séparer de l’opposition et de le rapprocher insensiblement du ministère. Lord North rendit plus d’une fois hommage à la justesse de ses vues, et se félicita d’avoir dans cette question son appui. Une résistance inflexible aux prétentions des Américains était un titre certain à la faveur royale, et lorsqu’en 1775, le duc de Grafton sortit du cabinet en déclarant qu’il ne pouvait le suivre plus long-temps dans la conduite de cette affaire, lord Dartmouth, pour le remplacer au sceau privé, quitta les fonctions de secrétaire d’état des colonies, et celles-ci furent données à lord George Germain. C’était le nom que par suite d’un héritage avait pris lord George Sackville. Cette promotion ne passa point sans difficulté et donna lieu a plus d’un débat pénible pour le nouveau ministre. De tristes souvenirs furent évoqués. Il se maintint cependant, et dirigea durant sept années le département le plus important. Son administration ne fut guère qu’une suite de revers. Il y montra beaucoup de fermeté, une grande application, un certain esprit de commandement, et il se défendit avec force et même avec succès contre toutes