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après ce beau discours. Le vieux marchand seul n’est pas convaincu par les magnifiques théories du jeune homme. « Quoique tout ce que vous venez de dire soit fort dur pour nous, répond-il à celui-ci, vous pouvez avoir raison sur beaucoup de points; mais que voulez-vous? nous ne sommes pas des gens instruits, et nous avons la simplicité de faire comme nos ancêtres, qui, Dieu merci, nous ont laissé d’assez bons capitaux. Et puis les Français pourraient venir former des compagnies parmi nous, et nous serions perdus. Nous ne faisons peut-être pas tout-à-fait comme il faudrait faire; mais enfin, quel qu’il soit, notre système jusqu’à présent ne nous a pas trop mal réussi. »

Telle est la sage et naïve réponse du vieux marchand aux déclamations d’Iwan Wassilievitch, et celui-ci prend gaiement son parti de sa défaite en acceptant un verre de thé que lui offre son contradicteur.

Ainsi, depuis l’avenir politique de l’empire jusqu’aux réformes sociales les plus importantes, toutes les questions qui intéressent la Russie sont venues se poser sur le passage des deux voyageurs, tantôt à propos d’une halte dans une auberge, tantôt à propos d’une rencontre sur la route. Le pittoresque tient peu de place dans un pareil récit. C’est à peine si quelques descriptions interrompent de loin en loin la course du tarantasse à travers cette Russie des provinces si différente de la Russie de Moscou et de Saint-Pétersbourg. On jette, en passant, un coup d’œil aux merveilleux monumens de Nijni, au monastère de Petchorsk, qui domine la montagne au pied de laquelle s’étend l’immense foire de cette ville. L’histoire de ce couvent est retracée à grands traits. Abandonné après l’invasion mongole, il ne tarda pas à tomber en ruine. Rebâti en 1595 par le tzar Michel Fedorovitch, le monastère de Petchorsk compta parmi ses archimandrites le courageux père Fédoxie, qui, à l’époque de l’invasion polonaise, décida le prince Pojarsky à marcher contre l’ennemi et prépara ainsi le salut de l’empire. Aujourd’hui le rôle historique du pieux monument est terminé. « Après avoir été le témoin de la double invasion des Tatars et des Polonais, dit M. Solohoupe, après avoir vu l’orgueil des boyards et la grandeur des tzars, il ne cesse pas de demeurer silencieux et calme malgré le tumulte de l’immense bazar qui s’étend à ses pieds. Il a vu l’ancienne Russie, il voit la Russie nouvelle, et, comme par le passé, il continue à appeler les chrétiens à la prière; comme par le passé, il fait retentir le mélancolique tintement de ses cloches. »

Déjà cependant nous approchons du terme du voyage. Voici Kazan La tatare, Kazan l’orientale, avec ses minarets, ses coupoles, ses bazars, ses terrasses et ses vieilles murailles qui, les premières en Russie, entendirent gronder l’artillerie moderne. À cette vue, l’imagination du jeune homme s’exalte. Il n’a pu écrire ses impressions de voyage; pourquoi n’écrirait-il pas un gros livre, un traité sur l’influence de l’Orient et de l’Occident en Russie, divisé en trois parties correspondant à ces trois