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qui le concernaient, traitât des affaires de ménage avec la solennité d’un publiciste, et grossît des griefs de bureau à la proportion de crimes d’état. S’il cessa d’écrire sur la grande politique peu de temps avant de quitter sa place, si, même disgracié et irrité, il ne reprit pas la plume, c’est que vers ce temps l’administration de lord North parut s’affermir, et que l’espérance de voir arriver au pouvoir la coalition de Chatham, de Camden, de Rockingham et de Richmond commençait à s’affaiblir. Lorsqu’en 1773, Francis revint en Angleterre, il était sans place, sans fortune ; son père et son ami Calcraft étaient morts. Il dut songer à se créer une position. Peut-être employa-t-il pour l’obtenir le secret dont il était maître et la menace du talent dont il était armé. Il est possible que lord Chatham, que lord Holland fussent instruits. Peut-être avait-on parlé, peut-être le gouvernement avait-il tout découvert ; les lettres sur l’intérieur de ses bureaux avaient pu mettre lord Barrington sur la trace. Francis une fois reconnu n’était plus libre ; un traité secret pouvait seul le sauver. « Nous connaissons Junius, aurait dit le roi à une certaine époque, et il n’écrira plus. » Peut-être aussi la révélation spontanée de son nom et la promesse de son silence lui valurent-elles le poste important qui lui fut donné dans l’Inde. Comment autrement expliquer que lord Barrington s’entremît pour doter si généreusement un commis qu’il avait renvoyé naguère ? La nature de cette transaction motiverait également la discrétion absolue de tous ceux qui en furent les confidens. Il est surtout évident qu’à aucun moment de sa vie, sir Philip Francis n’a dû laisser échapper l’aveu terrible qui eût perdu son repos et son honneur.

À l’appui de cette version, on donne des preuves plus directes. Sir Philip Francis était d’une grande taille. Son écriture offre des traits de ressemblance avec l’écriture contrefaite (du moins on la croit telle) des lettres de Junius à Woodfall. L’une et l’autre présentent pour la ponctuation, l’orthographe, l’emploi de certains signes, tels que les accens, les guillemets, les tirets, etc., des analogies qui sont au moins singulières. Certaines expressions, certains tours de phrase, se retrouvent les mêmes dans les lettres de Junius et dans les écrits de Francis. Ce dernier était un homme d’une intégrité sévère plutôt que d’un honneur délicat. Son caractère était fier, irritable. Franc et décidé dans le cours ordinaire de la vie, il savait être discret et impénétrable. Il poursuivait à outrance ceux qu’il haïssait, et ne pardonnait jamais. Sa vivacité n’était pas de l’irréflexion, et il revenait rarement des premiers mouvemens de son orgueil ou de sa colère. Son esprit était à l’avenant de son caractère. Naturellement agressif, son ton était ferme et acerbe, sa moquerie amère et poignante. Les traits qu’il lançait semblaient préparés avec un soin cruel. Il écrivait bien, mais d’une manière plus piquante que naturelle, On convient qu’au moins dans