Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/1000

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sept lettres sont en effet dirigées contre lord Barrington, et les cinq premières, signées Vétéran, sont employées à raconter avec beaucoup de détail et de malice comment il aurait nommé pour secrétaire suppléant (deputy secretary) un M. Chamier, Français d’origine, agent de bourse, marron ou coulissier, comme on dirait chez nous, et que l’auteur veut même faire passer pour Juif. Suivant lui, ce Chamier, qu’il appelle Tony Shammy, n’a d’autre qualité que d’être beau-frère de Bradshaw, l’impur confident, le Mercure blafard du duc de Grafton, et, pour le nommer, on aurait congédié un excellent fonctionnaire, M. d’Oyly. Cet arrangement tout intérieur, ou, si l’on veut, ce tripotage, est expliqué minutieusement, rendu tour à tour odieux ou ridicule dans quatre lettres, et la cinquième commence ainsi : « Je vous prie d’informer le public que le digne lord Barrington, non content d’avoir chassé M. d’Oyly du bureau de la guerre, a fini par trouver moyen d’en expulser M. Francis….. Je pense que le public a droit de les sommer tous deux de déclarer leurs raisons pour avoir quitté cette administration. Des bommes dont le caractère est sans tache, comme le leur, ne résignent pas des emplois lucratifs sans de suffisantes raisons. La conduite de l’un et de l’autre a toujours été approuvée, et je sais qu’ils sont aussi bien placés dans l’estime de l’armée que quiconque occupa jamais le même poste. Pour quelle cause le public et l’armée devraient-ils être privés de leurs services ? » À la suite du Vétéran, Scotus et Némésis redoublent l’attaque, et la dernière lettre est une sanglante biographie de lord Barrington.

En examinant cette fin de l’ouvrage, un critique attentif, M. Taylor, s’est demandé d’où provenait l’importance qu’un écrivain de l’ordre de Junius, monté au faîte de sa renommée, accoutumé à traiter des grands intérêts de l’état, avait pu attacher à un abus obscur, à l’acte d’un ministre secondaire, qui n’avait pas de place dans le cabinet. Comment pouvait-il se montrer si particulièrement informé d’une si petite affaire, la discuter avec une complaisance qu’une rancune personnelle semblerait seule motiver, prendre enfin si vivement parti pour deux fonctionnaires subalternes, au point de les louer, lui si avare de louange ? Ce n’est pas la première fois que ses lettres témoignent d’une connaissance précise, technique, de tout ce qui concerne l’administration militaire ; il semble n’ignorer rien de ce qui s’y passe, et, comme il dit quelque part qu’il n’est pas soldat, on le croirait un commis des bureaux de la guerre. Mais c’étaient deux commis, first clerk, que ces deux disgraciés dont il prend la défense ? Leur cause serait-elle la sienne, et serait-il l’un d’eux ? M. Francis, qu’il nomme en passant, était inconnu alors ; mais il a montré plus tard un vrai talent dans les affaires, dans la presse, au parlement. Junius serait-il M. Francis ? Une fois saisi de cette idée, M. Taylor l’approfondit, et