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perles. Il avait ses épaules et le haut des bras également chargés de perles formant de gracieux dessins. Sa tête était couverte du bonnet de peau d’agneau noir, qui caractérise la dynastie des Kadjârs et est devenu national. Cette coiffure était entourée d’une espèce de guirlande ou de couronne de gros diamans, surmontée d’une aigrette aussi en diamans. Aucun autre ornement ou attribut royal ne distinguait le châh. Ce prince nous parut jeune encore ; sa figure, belle, mais peu expressive, exprimait la bonté plutôt que l’énergie.

L’étiquette voulait que l’ambassadeur portât le premier la parole. Son interprète avait pour cette circonstance élaboré, avec tout le soin dont il était capable, une harangue fleurie, ornée de flatteries métaphoriques et ampoulées, telle que l’exigeait le langage persan. Il la débita avec une accentuation tout orientale, qui parut faire beaucoup de plaisir au roi. Méhémed-Châh y fit une réponse brève, mais aussi aimable que le permettait l’usage. Après ces préliminaires, l’ambassadeur remit au châh ses lettres de créance c’était un magnifique vélin enrichi d’arabesques coloriées et dorées, enfermé dans un superbe sachet de soie et d’or. Un des secrétaires le prit sur ses deux mains, et, montant le petit escalier, alla le déposer aux pieds du roi. L’ambassadeur saisit ce moment pour nous présenter, les uns après les autres, au châh, qui parut frappé de la diversité de nos attributions et de la spécialité que chacun de nous représentait dans cette petite société d’Européens venus de si loin pour étudier son pays. Nous nous retirâmes presque aussitôt, en saluant et en marchant à reculons. Le maître des cérémonies nous fit prendre place un à un en face de la fenêtre de la salle où était le châh, et nous répétâmes les salamaleks voulus.

La visite au premier ministre de Méhémed-Châh devait suivre immédiatement l’audience royale. Sortant de la salle du trône, nous nous rendîmes donc chez le vizir Hadji-Mirza-Agassi[1], qui avant une habitation dans l’enceinte du palais. Il nous reçut sans faste et avec une simplicité qui aurait choqué l’ambassadeur et les convenances, si cette simplicité n’avait été dans les habitudes de ce personnage, qui affectait une vie austère. Ce ministre était un mollah. Il avait été, en cette qualité, chargé de l’éducation de Méhémed-Châh. Il s’était attaché à son élève, et, changeant de position en même temps que lui, quand celui-ci était monté sur le trône, il était devenu son premier ministre. Non-seulement il dirigeait toutes les affaires de l’état, mais il avait acquis sur son maître une influence presque sans limites. Le châh ne s’occupait d’aucune affaire, et le sceptre était véritablement dans les mains de Hadji-Mirza-Agassi.

  1. On a pu lire dans la Revue un tableau de la cour de Méhémed-Châh, en 1845, où la physionomie originale de ce vizir est rendue avec une parfaite vérité. Voyez la livraison du 15 juillet 1850.