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vingt-deux ans, fort affable et parlant très bien le français. L’étiquette ne permettait pas au châh de nous faire offrir en sa présence le kalioûn et le thé ; mais, comme nous ne pouvions sortir de la demeure royale sans y avoir reçu cette marque d’hospitalité, Mirza-Ali avait été chargé de ce soin. Nous passâmes donc dans le kiosque des Miroirs environ une demi-heure, pendant laquelle de nombreux pichketmèths[1] firent circuler d’excellens kalioûns, du thé et du café à la rose.

Le ministre des affaires étrangères, prévenu que le châh nous attendait, leva la séance et nous conduisit à son petit palais de Hapht-Dest. Nous y pénétrâmes par une galerie le long de laquelle étaient rangés une foule d’officiers, de mirzas, de goulâms et de ferrachs. Précédés du grand-maître des cérémonies, nous entrâmes dans un beau jardin dont nous suivîmes les allées entre deux haies de soldats qui présentaient les armes. Au fond du jardin était un pavillon ouvert où se tenait le châh, que nous ne pouvions voir. Nous en étions encore très éloignés, quand, selon l’usage, on nous fit faire un grand salut, qu’il fallut répéter un peu plus loin. Nous arrivâmes, en marchant à pas comptés, jusqu’à la hauteur du pavillon où nous attendait le roi, que nous distinguâmes cette fois. Là, naturellement, les génuflexions des Persans recommencèrent, ainsi que nos saluts respectueux ; puis nous fûmes admis en présence du pôle de l’univers. Nous nous rangeâmes, les uns à côté des autres, contre le mur presque en face du châh, chacun de nous prenant la place qui lui revenait d’après celle qu’il occupait hiérarchiquement dans le personnel de la mission. Nous fîmes encore deux saluts au roi et le maître des cérémonies prononça quelques courtes paroles de présentation, après quoi le châh fit signe à l’elchi de s’asseoir. Les autres membres de la légation restèrent debout.

La salle où nous étions était petite ; les murs en étaient revêtus de peintures et de dorures du haut en bas, ainsi que le plafond. Un canal d’eau courante, formant au milieu un bassin avec jet d’eau, divisait cette pièce dans le sens de sa longueur. Au fond s’élevait une estrade à laquelle on montait par un petit escalier de quatre marches. Au-dessus de cette estrade s’ouvrait une espèce de grande niche ou d’arcade un peu moins large que la salle, terminée par une demi-coupole formée d’encorbellemens superposés et ornée de peintures. Trois fenêtres à barreaux de fer donnaient vue sur le camp royal. Le châh était assis sur cette estrade, dans un fauteuil en marqueterie d’ivoire, de nacre et d’or. Il était immobile. Son costume était riche : une petite redingote de cachemire rouge, boutonnée sur la poitrine, était serrée autour de sa taille par une ceinture sur laquelle scintillait une brillante plaque de pierreries ; les paremens de cet habit étaient brodés en

  1. Pages de service dans les appartemens du châh.